Mon Cerveau à l'école

Quelques éléments de sciences cognitives pour les enseignants et les parents

  • Kalulu, pour apprendre à lire et à calculer

    Notre laboratoire développe, depuis plusieurs années, le logiciel Kalulu d’apprentissage de la lecture et du calcul.

    Une version pilote du logiciel, avec tous les niveaux débloqués, est disponible gratuitement.

    Je télécharge le logiciel Kalulu

    Qui peut bénéficier de ce logiciel?

    Kalulu a été développé pour faciliter l’apprentissage du décodage en lecture, grâce à l’enseignement systématique des correspondances graphème-phonème.

    Il est donc optimalement adapté:

    – aux enfants de début de CP

    – aux enfants de fin de CP, de CE1 et au delà, s’ils éprouvent des difficultés à automatiser le décodage

    – aux enfants de Grande Section de Maternelle, s’ils ont déjà envie d’apprendre à lire

    Comment fonctionne la pédagogie Kalulu ?

    La pédagogie Kalulu pour la lecture est entièrement fondée sur l’enseignement explicite et systématique des correspondances graphèmes-phonèmes, dans un ordre optimisé pour tenir compte des statistiques et des difficultés de la langue française, et en faisant appel à des mots 100% décodables. Cette pédagogie correspond aux instructions du Ministère de l’Education Nationale.

    Kalulu comprend 20 jardins mentaux à parcourir.
    Dans chaque jardin, le chemin du haut fait apprendre les lettres, et le chemin du bas les chiffres. Voici l’exemple du jardin n° 5 !

    La recherche montre qu’en début du CP, l’enseignant doit se concentrer sur les correspondances graphèmes-phonèmes : chaque enfant devrait en avoir appris entre 12 et 14 dans les six premières semaines d’école. C’est pourquoi la pédagogie Kalulu se focalise sur le décodage.

    Dans Kalulu, chaque correspondance graphème-phonème est introduite de façon explicite. Le logiciel Kalulu s’appuie sur l’ordre rationnel issu de la base de données Manulex (www.manulex.org),  un corpus réalisé à partir de 54 livres pour enfants. L’apprentissage commence par les voyelles, puis les consonnes et quelques graphèmes très réguliers comme le ‘ch’. Une fois ces bases maîtrisées, on passe aux phonèmes qui sont représentés par plusieurs graphèmes différents, aux sons complexes, et aux correspondances qui sont plus rares en français. 

    Pour mieux comprendre et aller plus loin, téléchargez le guide de la pédagogie Kalulu (en format pdf).

    Comment le logiciel a-t-il été testé?

    Le projet LUDO est une étude grandeur nature de l’efficacité de la méthode Kalulu. Ce projet, qui se termine fin 2020, est financé par le programme d’Investissements d’Avenir Action : “Innovations numériques pour l’excellence éducative” volet Espace de Formation, de Recherche et d’Animation Numérique (eFRAN). Il fait l’objet de la thèse de Cassandra Potier-Watkins, sous la direction de Stanislas Dehaene.

    Une version précédente du logiciel (appelé Elan pour la Lecture) a été testée dans une étude randomisée contrôlée réalisée en CP dans l’Académie de Poitiers. Cette étude publiée a montré des résultats positifs sur la vitesse de lecture et sur la compréhension de phrase, en comparaison à un groupe contrôle qui utilisait un logiciel de jeux arithmétiques.

    L’étude Ludo, en cours de finalisation, a été réalisée en 2018-2019 chez près d’un millier d’enfants de maternelle dans les académies de Nice et de Poitiers. Egalement randomisée, elle a consisté à comparer les performances d’enfants de grande section de maternelle qui jouaient, soit à la version Lettres, soit à la version Chiffres, de Kalulu, 20 minutes par jour trois fois par semaine. Les résultats, encourageants, seront publiés dès que nous aurons suffisamment de recul sur le devenir de ces enfants en CP.

  • La Bataille des mots

    Un jeu de cartes à imprimer pour travailler la lecture et enrichir son vocabulaire, à partir de 6 ans.

    Les bases de la lecture sont le décodage et le vocabulaire avec une tête bien remplie de mots !

    Dans ce jeu, les niveaux sont organisés de façon à introduire des correspondances graphèmes-phonèmes de plus en plus complexes. L’enfant enrichit son vocabulaire et apprend également à comparer les objets décrits par les mots tout en s’amusant ! (Exemple : Est-ce que le microbe est plus petit que la mouche?)

  • Un livre utile pour les enseignants et les parents!

    Télécharger maintenant!

  • Retrouvez les conclusions de l’analyse menée en 2018-2019 par le groupe de travail Pédagogie et manuels scolaires du Conseil scientifique de l’éducation nationale,en collaboration avec l’académie de Paris.

  • Un phénomène intrigant: une lettre lue mais jamais écrite!

    Savez-vous que le “g“s’écrit de deux formes différentes? Vous ne me croyez pas et bien prenez un journal ou un livre. La plupart du temps le “g” n’est pas imprimé comme la forme manuscrite et 1) la plupart des gens l’ignorent 2) vous ne savez pas l’écrire et à peine le reconnaitre (essayez ci-dessous et prenez un livre pour vérifier la bonne réponse !)

    The Devil’s in the g-tails: Deficient letter-shape knowledge and awareness despite massive visual experience (2018) by K. Wong, F. Wadee, G. Ellenblum, and M. McCloskey, in Journal of Experimental Psychology: Human Perception & Performance. 

    La lecture et l’écriture sont deux mécanismes qui impliquent des régions cérébrales différentes. On peut lire sans savoir écrire et on peut écrire sans savoir lire. C’est ce qui arrive dans certaines lésions cérébrales qui détruisent la région de la forme visuelle des mots. Les patients ne peuvent relire les mots qu’ils viennent juste d’écrire.

    Dans l’apprentissage de la lecture, il est important de relier les deux processus, lire et écrire car ils s’aident l’un l’autre. Il a été montré qu’apprendre à lire une nouvelle écriture en utilisant un clavier plutôt que l’écriture manuscrite est beaucoup plus difficile même chez l’adulte. Notamment pour les lettres “b” et “d”, “p” et “q” qui sont en miroir, en lettres d’imprimerie, et correspondent aussi à des sons très proches. Les écrire à la main facilitent l’apprentissage de la correspondance entre le graphéme et le phonéme, ainsi que le suivi de la lettre sur une forme en papier de verre.

    Longcamp, M., Boucard, C., Gilhodes, J. C., Anton, J. L., Roth, M., Nazarian, B., & Velay, J. L. (2008). Learning through hand- or typewriting influences visual recognition of new graphic shapes: behavioral and functional imaging evidence. J Cogn Neuroscience.

    Gentaz, E., Colé, P., & Bara, F. (2003). Evaluation d’entraînements multisensoriels de préparation à la lecture pour les enfants en grande section de maternelle : une étude sur la contribution du système haptique manuel. L’Année Psychologique, 104, 561-584.

     

  • Extrait du Journal de France 2 : Apprendre à lire

    Francetvinfo

    Lecture au CP : enfin une enquête comparative Enquête Deauvieu.

  • Quel programme de lecture en primaire?

    Dans le cadre de la refondation de l’école, le Conseil supérieur des programmes de l’Education Nationale m’a récemment demandé une contribution écrite comprenant des recommandations relatives à l’enseignement de la lecture.

    Chercheur en sciences cognitives, j’ai préféré mettre brièvement par écrit, de façon nécessairement simplifiée, ce qui me parait être le consensus international sur l’acquisition de la lecture et l’optimisation de son enseignement. Il s’agit ici d’une synthèse personnelle, mais fortement étayée par la littérature scientifique. Je crains, ce faisant, de ne faire que répéter ce que beaucoup d’enseignants savent déjà, et que l’Observatoire National de la Lecture a largement diffusé depuis quinze ans – mais peut-être est-il utile d’y revenir une fois encore. 


    Maternelle : La préparation à la lecture

    La recherche montre que, dès la maternelle, trois variables prédisent la facilité avec laquelle l’enfant va apprendre à lire :

    –        Les compétences phonologiques de l’enfant

    –        Le vocabulaire oral de l’enfant

    –        La présence des livres dans son environnement, et leur valorisation

    L’école maternelle doit donc viser à enrichir l’enfant dans ces trois domaines. A ce stade, on ne saurait parler de « programme », mais seulement de jeux et d’activités choisis pour leur valeur pédagogique :

    –        Phonologie : Jeux de mots, marquage du nombre de syllabes des mots avec un instrument de musique, jeux de rime, ressemblances phonologiques, approximations (« mots tordus ») et distinctions entre les mots, repérage du premier son, etc.

    –        Vocabulaire : Imagiers, lectures orales, logiciels, puzzles et jeux exposant l’enfant à un vocabulaire enrichi et exigeant (rappelons qu’à cet âge, n’importe quel enfant apprend 10 à 20 mots par jour pourvu qu’il soit exposé à un langage oral riche et diversifié).

    –        Présence des livres : lectures quotidiennes par les enseignants et, tous les soirs, par les parents. Présence, dans toutes les classes, d’une bibliothèque de livres illustrés où l’enfant prend l’habitude de puiser chaque fin de semaine.

     


    CP : L’acquisition du décodage et du vocabulaire écrit

    La première année de la lecture doit se concentrer sur l’apprentissage du code alphabétique. Pour une langue semi-transparente telle que le français, il est réaliste (quoique exigeant) de viser qu’à la fin du CP, l’enfant sache (1) déchiffrer sans erreur pratiquement n’importe quel mot, connu ou inconnu, ainsi que n’importe quel pseudo-mot ; (2) comprendre le sens des mots connus qu’il déchiffre.

    Objectif 1 : Un déchiffrage précis et sans erreur.

    Pour y parvenir, l’enseignant doit expliciter chacun des aspects du code alphabétique :

    –        Correspondance graphème-phonème : enseignement systématique de la manière dont chaque lettre transcrit un son ; dans un ordre rationnel, en commençant par les correspondances les plus simples et les plus fréquentes. [1]

    –        Combinatoire des lettres : une étape essentielle et difficile pour l’enfant consiste à comprendre que les sonorités portées par chaque lettre se combinent pour former des syllabes. L’enseignement commence par les combinaisons les plus simples (CV = consonne voyelle, en commençant par les consonnes « continues » comme /f/, /ch/, /s/, /j/) et se poursuit par les combinaisons plus ardues : VC, CVC, CCV, CCCV, etc.

    –        Correspondance entre l’espace et le temps : la position des lettres, de gauche à droite, dans le mot écrit correspond à la séquence des sons dans le mot prononcé.

    Des progrès rapides sont obtenus lorsque ces éléments sont enseignés tous les jours. En effet, le sommeil consolide chaque nuit les apprentissages de la journée. De nombreux pays recommandent une séance quotidienne de lecture, d’au moins une demi-heure qui comprend successivement (1) l’introduction ou la révision d’une correspondance graphème-phonème spécifique (2) l’illustration de son rôle combinatoire dans des syllabes ou des mots courts (3) la lecture à haute voix et l’écriture de mots et pseudo-mots qui l’illustrent ; et ce tous les jours.

    A ce rythme, les échéances suivantes sont exigeantes mais réalistes :

    –        En fin de premier trimestre de CP: l’enfant connaît la prononciation dominante de toutes les voyelles et de la plupart des consonnes, et il sait donc lire à haute voix toutes les syllabes simples (CV et VC) qui font appel à des correspondances régulières

    –        Au cours des deux trimestres suivants, l’enfant apprend à maîtriser toutes les correspondances moins fréquentes et toutes les structures syllabiques.

    Notez que cet apprentissage ne passe pas nécessairement sur le seul B+A=BA (approche « synthétique » dans lequel on compose des syllabes, souvent dépourvues de sens, à partir de lettres connues). L’inverse est tout aussi efficace: partir d’un mot connu et le décomposer en lettres déjà connues (« sale » = s+a+l+e muet; approche « analytique »). Les deux approches se combinent utilement. L’essentiel est d’enseigner le rôle de la combinatoire des lettres dans la formation des mots écrits. En fin de CP, analyse et synthèse doivent être maîtrisés.

    A la fin du CP, l’enfant doit également maîtriser les autres « codes » qui, rassemblés, fondent la connaissance de la lecture : formes multiples de chaque lettre (minuscule et majuscule d’imprimerie, minuscule manuscrite), geste d’écriture, prononciation orale, et geste d’articulation. C’est pourquoi l’enseignant doit fournir aux élèves une entrée multi-sensorielle de haute qualité, comprenant l’articulation nette du son (mouvement des lèvres face à l’enfant) et le dessin de la forme de la lettre (tracée au tableau et reproduite par l’enfant).

    Ecrire convenablement les lettres et les mots fait également partie des objectifs clés du CP. La recherche a montré que l’enfant qui apprend conjointement à lire et à écrire mémorise mieux le code alphabétique. Combiner lecture et écriture est également avantageux pour surmonter une difficulté présente chez tous les enfants : la confusion des lettres en miroir (p, q, b, d). En effet, le geste d’écriture les différencie nettement. En fin de CP, ces confusions devraient déjà avoir disparu.

    La question des mots irréguliers. En français, la majorité des mots écrits sont suffisamment réguliers pour être décodés. Toutefois, pour faciliter la lecture des phrases, l’enfant gagnera à mémoriser quelques  mots de haute fréquence, partiellement irréguliers, que l’on a coutume d’appeler « mots outils ». Il s’agit de certains articles (les, des, aux…), pronoms (ils, mes, tes, ses…), auxiliaires et conjugaisons (suis, es, est, as, avez…), et quelques autres mots grammaticaux (à, vers, quand…) et mots irréguliers très fréquents (six, dix, sept, deuxième, automne, femme, compte, œuf, un fils…). On prendra garde à les introduire, non pas comme des formes à mémoriser globalement, mais comme des mots qui contiennent une prononciation inhabituelle (« dans le mot ‘six’, le x se prononce /s/ »). La lecture des mots irréguliers s’automatise naturellement, et il n’est donc pas nécessaire d’y consacrer beaucoup de temps.

    Objectif 2 : La compréhension des mots déchiffrés et des phrases simples

    Une fois que le décodage commence à se mettre en place, la compréhension du message doit être l’objectif suivant. Cette étape ne pose pas de difficulté si l’enfant a compris le « triangle de la lecture », c’est-à-dire la nécessité de décoder de façon systématique, sans deviner : d’abord identifier les lettres, ensuite les transcrire en sons, et enfin « écouter » ce qui est dit, en se servant du vocabulaire oral déjà connu (flèches marquées en jaune dans ce diagramme) :

    circuitlecture

    Un objectif légitime est qu’en fin de CP, l’enfant maîtrise cette boucle et puisse donc lire tous les mots et les phrases qu’il connaît à l’oral, et ce dans les deux acceptions du mot « lire » : (1) prononcer le mot écrit à haute voix (2) comprendre de quel mot il s’agit et à quoi il fait référence.

    On comprend ici l’importance du vocabulaire oral : au moins au départ (en CP), la compréhension en lecture dépend de la connaissance préalable des mots à l’oral, ainsi que des constructions dans lesquelles ils apparaissent. Par la suite, c’est la pratique même de la lecture qui enrichira le vocabulaire de l’enfant, mais au départ, la connaissance préalable des mots à l’oral facilite grandement leur reconnaissance à l’écrit. Au CP, il faut donc continuer le travail sur le langage oral : tous les jours, une petite histoire peut être lue par l’enseignant ou par un élève plus avancé, et son sens expliqué et discuté. L’objectif est toujours d’enrichir le vocabulaire de 10 à 20 mots par jour.

     


    CE1 et CE2 : Automatisation du décodage et approfondissement de la compréhension

    En fin de CP, une fois le décodage maîtrisé, la lecture est possible, mais elle reste lente. L’objectif du CE1 et du CE2 est d’accélérer la lecture et de la rendre automatique, sans effort, afin que l’enfant puisse se concentrer sur le sens.

    Objectif 1 : L’automatisation du décodage

    Sur le plan neuro-cognitif, la voie directe (représentée en vert dans le diagramme présenté plus haut) doit se mettre en place : le cerveau passe alors directement et automatiquement de la chaîne de lettres à la compréhension du mot, sans déchiffrer.

    Il existe une mesure simple de cette automatisation : l’évolution de la vitesse de lecture en fonction du nombre de lettres des mots (voir diagramme). En CP, un enfant qui déchiffre met d’autant plus de temps que le mot comprend de lettres.[2] L’objectif pédagogique pour le CE1 et le CE2 est de réduire ce temps de lecture à un niveau pratiquement constant, au moins pour les mots de 2 à 5 lettres (chez l’adulte lecteur expert, ce temps est pratiquement constant pour des mots de 2 à 8 lettres).

    vitesselecture

    Pour y parvenir, il faut simplement pratiquer la lecture. Plus l’enfant lit, puis il parvient à passer rapidement et directement de la séquence des lettres au mot correspondant, sans devoir le déchiffrer. Le décodage permet donc un « auto-apprentissage » : l’enfant déchiffre, écoute et comprend le mot écrit, et apprends ainsi à associer toute la chaîne de lettres avec le mot correspondant. Le CE1 doit donc continuer de comprendre des exercices quotidiens de déchiffrage et de lecture à haute voix. L’enfant doit également prendre l’habitude d’emprunter, dans la bibliothèque de classe, au moins un livre par semaine.

    La mesure du temps de lecture (et, bien sûr, des erreurs) est très utile pour dépister les enfants en difficulté. Il est tout-à-fait possible de mesurer ce temps de lecture chez chaque enfant une fois par trimestre, par simple chronométrage du temps mis pour lire une série de 20 mots de 2 lettres, 20 mots de 3 lettres, etc.

    Objectif 2. La compréhension détaillée des mots, des phrases et des textes

    Comprendre finement le sens d’un texte est, bien évidemment, l’objectif de toute pédagogie de la lecture. A mesure que la vitesse de décodage s’accélère, l’enfant parvient à garder plus de mots en mémoire à court terme, et peut donc, plus facilement, s’interroger sur le sens de la phrase toute entière. La compréhension des textes écrits peut dès lors faire l’objet d’exercices spécifiques, fondés sur des questions simples : qui fait quoi ? où et quand se passe l’action ? etc.

    En fin de cycle, l’enfant doit pouvoir comprendre n’importe quelle instruction écrite simple. C’est une condition indispensable à la poursuite de la scolarité, où la lecture joue un rôle indispensable dans l’énoncé des connaissances et des problèmes dans tous les domaines (mathématiques, sciences naturelles, etc.).

    Deux compétences spécifiques doivent se développer et peuvent faire l’objet d’un enseignement détaillé:

    Formation des mots. Le français est une langue dans laquelle la morphologie joue un rôle essentiel. Les morphèmes sont les plus petits éléments de sens qui composent les mots: racines, préfixes, suffixes et terminaisons grammaticales. Savoir prononcer à haute voix un mot comme « prévision » ne suffit pas: Pour comprendre ce qui est lu, il faut savoir décomposer le mot en pré+vis+ion, comprendre que « pré » signifie devant, avant; que la racine « vis » est reliée au le verbe « voir », etc. Tout bon lecteur effectue, automatiquement, une décomposition des mots qu’il rencontre et l’utilise pour comprendre les mots (connus ou nouveaux) et leur rôle dans la phrase. Comprendre finement la morphologie, y compris les terminaisons grammaticales (marques du pluriel, conjugaison des verbes) est un objectif ambitieux mais raisonnable pour le CE1 et le CE2.[3]

    Compréhension des textes. La compréhension des textes peut être entraînée par des exercices spécifiques : l’enseignement lit à l’enfant un court texte et, par des questions simples, aide l’enfant à raisonner sans deviner, en identifiant tous les indices disponibles (pronoms, adjectifs, adverbes, temps des verbes, etc). Cet entraînement à une compréhension fine et précise, initialement mené à l’oral, bénéficie ensuite à la compréhension de textes écrits.[4]


    Quels enfants sont concernés ?

    Les lignes qui précèdent fixent un objectif ambitieux qui devrait s’appliquer à tous les enfants (100% d’une classe). Les enquêtes de l’OCDE montrent que les pays où l’école réduit le mieux les inégalités (par exemple la Finlande) sont précisément ceux qui fixent l’objectif ambitieux de mener tous les élèves d’une classe au bout du programme fixé.

    On m’objectera qu’il existe des enfants qui ne parviennent pas à suivre pour des raisons de handicap (surdité, dyslexie).[5] Toutefois, ce pourcentage est faible. De plus, il n’y aucune fatalité à ce que ces enfants, dont le handicap est circonscrit à un domaine particulier et qui peuvent présenter des compétences remarquables dans d’autres domaines (par exemple les mathématiques), décrochent de l’ensemble du système scolaire. Il faut, là encore, que le programme se donne l’objectif ambitieux de conserver la très grande majorité de ces enfants dans un cycle scolaire normal, donc (1) de les diagnostiquer convenablement par des tests en début d’année; (2) d’intervenir de façon efficace par des compléments d’enseignement adaptée, y compris en faisant appel à l’informatique (par exemple le logiciel GraphoGame bientôt disponible en version française). La recherche montre que les enfants « dys » bénéficient du programme pédagogique décrit plus haut, mené avec encore plus de régularité jour après jours.

    Le programme doit donc rappeler que l’école et donc le maître ou la maîtresse sont les premiers responsables de la prise en charge des enfants en difficulté, bien avant d’autres intervenants comme le psychologue ou l’orthophoniste.

    Trop d’enseignants se font à l’idée que, chaque année, deux ou trois enfants décrochent par classe. C’est cependant là un pourcentage élevé et inacceptable : 10 à 15% d’élèves déjà en difficulté ! Trop d’enseignants considèrent également que, puisque le premier cycle comprend trois ans, si un enfant n’atteint pas les objectifs de fin de CP, il disposera encore du CE1 et du CE2 pour se rattraper. Dans l’état actuel des programmes, cela me parait une fuite en avant dangereuse, car l’enseignant des classes suivantes « suit le programme » sans nécessairement adapter son enseignement au niveau réel de chaque élève. Le rattrapage n’est possible que dans une classe à pédagogie flexible (par exemple de type « Montessori », où l’enfant choisit ses exercices). Il serait souhaitable que l’Education Nationale adopte ces pratiques souvent efficaces et adaptées au rythme et à la curiosité de chaque enfant. 


    Comparaison avec les programmes actuels

    La requête du Conseil supérieur des programmes se termine par la question « Auriez-vous des recommandations à faire sur la forme et l’écriture des futurs programmes ? ». Cette question appelle plusieurs remarques.

    Premièrement, il me semble qu’il y a un mal français bien particulier, qui consiste à théoriser excessivement le contenu de l’enseignement, à l’aide d’un jargon linguistique guère accessible aux parents et même parfois aux enseignants. Il me parait fondamental de revenir à une formulation simple et concrète, compréhensible par des non-spécialistes, et notamment les parents.

    Deuxièmement, au pays de Descartes, le « programme » est souvent conçu comme une liste de compétences idéales et abstraites que l’enfant devrait maîtriser. Il ne se prononce que peu ou pas sur les outils pédagogiques qui permettent d’atteindre ces objectifs. Il faut revenir sur cette idée. Un bon programme devrait être systématiquement accompagné de recommandations pédagogiques précises et exigeantes. Dans cette lettre, j’ai essayé de préciser quels types d’organisation scolaire sont utilisés dans d’autres pays pour atteindre les objectifs de la lecture : la répétition quotidienne d’exercices de décodage, la lecture à haute voix quotidienne, l’écriture combinée à la lecture, les exercices de compréhension, etc. 

    Troisièmement, un bon programme doit présenter des priorités claires. Dans le domaine de la lecture, je constate que les programmes diluent souvent les objectifs pertinents parmi d’autres moins prioritaires. Le programme de 2008 mentionne ainsi que les enfants doivent savoir décoder les mots, mais aussi « prendre appui sur l’organisation de la phrase ou du texte qu’ils lisent », lire des « textes du patrimoine et d’œuvres destinés aux jeunes enfants, dont la poésie », « rédiger de manière autonome un texte court » et même « utiliser l’ordinateur : écriture au clavier, utilisation d’un dictionnaire électronique ». Il serait merveilleux que les enfants maîtrisent toutes ces compétences, mais cet objectif ne peut pas être atteint avant celui, prioritaire, de savoir lire à haute voix n’importe quel texte écrit. Un programme clair sur ces points éviterait de voir des manuels qui, dès les premières semaines de CP, proposent des activités aussi floues que d’« entrer dans le monde de l’écrit », de « s’approprier un texte », de « repérer les fonctions de l’écrit », et même de « lire entre les lignes » …!

    Je dois dire enfin que, si le contenu des programmes ne m’a pas excessivement choqué, l’examen de certains manuels de lecture m’a paru affligeant. Il me semblerait judicieux que la commission se penche sur l’adéquation de chaque manuel avec les programmes et les recommandations pédagogiques des chercheurs et de l’Observatoire National de la Lecture, et n’hésite pas à émettre des recommandations précises aux enseignants.

    Stanislas Dehaene

  • Apprendre à lire: Des sciences cognitives à la salle de classe
    Mise en page 1

    Un livre écrit sous la direction de Stanislas Dehaene, avec Ghislaine Dehaene-Lambertz, Edouard Gentaz, Caroline Huron et Liliane Sprenger-Charolles.

    Comment faisons-nous pour lire ? Au cours des vingt dernières années, la recherche scientifique sur le cerveau et la lecture a progressé à grands pas. La psychologie expérimentale et l’imagerie cérébrale ont clarifié la manière dont le cerveau humain reconnaît l’écriture et se modifie au fil de cet apprentissage. Nous disposons aujourd’hui d’une véritable science de la lecture. Toutefois, ces recherches restent méconnues du grand public et, surtout, des premiers concernés : les parents et les enseignants des enfants de l’école primaire, ces années cruciales où ces derniers entrent dans le monde de la lecture.

    Nous avons écrit ce livre avec un objectif bien précis : que les connaissances scientifiques sur les neurosciences cognitives de la lecture soient diffusées et mises en pratique dans les écoles. Ce que les chercheurs ont mis des décennies à comprendre, comment imaginer que chaque enseignant le redécouvre seul, par tâtonnements, sans tirer parti des études scientifiques existantes ? Les enseignants sont les premiers experts de la dynamique de la salle de classe, mais ils doivent aussi devenir experts de la dynamique cérébrale. Personne ne devrait connaître mieux qu’eux les lois de la pensée en développement, les principes de l’attention et de la mémoire. Nous espérons également que les parents trouveront un plaisir plus grand encore à comprendre l’esprit de leurs enfants, à suivre leurs progrès en imaginant les étonnantes transformations qui se produisent dans leur cerveau et à prolonger le travail de l’école à la maison par des jeux pertinents.

    Dans les pages qui suivent, nous tentons donc de présenter, sous une forme concise, claire et pédagogique, les plus importantes découvertes sur le cerveau du jeune lecteur. Une première section dissèque le fonctionnement du cerveau quand il lit et quand il apprend à lire. Quels sont les circuits cérébraux qui évoluent au fil de l’apprentissage ? À quelles difficultés le cerveau de l’enfant doit-il faire face ? Qu’est-ce qui fait la différence entre un bon et un moins bon lecteur ? Dans une seconde partie, nous mettons en valeur quelques grands principes cognitifs qui devraient systématiquement guider les débuts de l’enseignement de la lecture : Dans quel ordre introduire les idées nouvelles ? Comment choisir de bons exercices ? Comment maximiser l’engagement, l’attention et le plaisir de l’enfant ?

    Disons-le d’emblée : la connaissance du cerveau ne permet pas de prescrire une unique méthode de lecture. Au contraire, la science de la lecture est compatible avec une grande liberté pédagogique, des styles très variés d’enseignement et de nombreux exercices qui laissent le champ libre à l’imagination de l’enseignant et des enfants. Un seul objectif doit nous guider : aider l’enfant à progresser, le plus vite possible, dans la reconnaissance fluide des mots écrits. Plus la lecture sera automatisée, plus l’enfant pourra concentrer son attention sur la compréhension de ce qu’il lit et devenir ainsi un lecteur autonome, qui lit autant pour apprendre que pour son propre plaisir.

    Le texte publié par le CSEN synthétise beaucoup d’éléments de ce livre et donne les éléments importants à considérer pour le choix d’un manuel

  • Les neurones de la lecture

    Les neurones de la lecture, un livre de Stanislas Dehaene publié aux Editions Odile Jacob

    Les neurones de la lecture

    Un livre de Stanislas Dehaene, publié aux Editions Odile Jacob.

    Ce livre vous aidera à comprendre, en détail, les nouvelles découvertes scientifiques sur le cerveau et la lecture. Comment fonctionne le cerveau d’un lecteur? Comment le cerveau se modifie-t-il au fil de l’apprentissage?

    Les Neurones de la lecture s’ouvre sur une énigme: comment notre cerveau de primate apprend-il à lire? Comment cette invention culturelle, trop récente pour avoir influencé notre évolution, trouve-t-elle sa place dans notre cortex?

    Voici qu’émerge une nouvelle science de la lecture. Tandis que l’imagerie cérébrale en révèle les circuits corticaux, la psychologie en dissèque les mécanismes. Ces résultats inédits conduisent  à une hypothèse scientifique nouvelle. Au cours de l’acquisition de la lecture, nos circuits neuronaux, conçus pour la reconnaissance des objets, doivent se recycler pour déchiffrer l’écriture – une reconversion lente, partielle, difficile, qui explique les échecs des enfants et suggère de nouvelles pistes pédagogiques.

    Qu’est-ce que la dyslexie ? Certaines méthodes d’enseignement de la lecture sont-elles meilleures que d’autres ? Pourquoi la méthode globale est-elle incompatible avec l’architecture de notre cerveau ? Utilise-t-on les mêmes aires cérébrales pour lire le français, le chinois ou l’hébreu ? La lecture subliminale existe-t-elle ? Autant de questions auxquelles Stanislas Dehaene, spécialiste de la psychologie et de l’imagerie cérébrale, apporte l’éclairage des avancées les plus récentes des neurosciences.

    Ce livre a été traduit dans de nombreuses langues:

    cover_lesenCoverReadingInTheBrainCover_NeuroniDellaLettura

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    Les neurones de la lecture

  • Education et sciences cognitives: le coup de gueule

    “Enseignants, emparez-vous des sciences de l’apprentissage”

    C’est le cri d’alarme qu’a lancé Stanislas DEHAENE dans un article publié dans Le Monde du 20 Décembre 2013

    Selon lui, beaucoup trop d’enseignants continuent d’ignorer les résultats des sciences cognitives, bien que ceux-ci soient directement pertinents pour l’enseignement, notamment mais pas seulement dans le domaine de la lecture.

    Il appelle de ses voeux une éducation fondée sur la preuve: l’évaluation systématique des manuels et des pratiques éducatives, comme on le fait en médecine afin de vérifier si un médicament est efficace.

    Voici le texte complet de l’article (dans une version légèrement différente — Le journal Le Monde a la fâcheuse habitude de déformer les textes qu’il reçoit, notamment en leur imposant des titres et sous-titres. Le titre “Enseigner est une science” n’est pas de l’auteur).

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    Pour quiconque sait que « l’enfant est l’avenir de l’homme », l’enquête PISA est un véritable électrochoc. Que nous apprend le Programme international pour le suivi des acquis des élèves de l’OCDE ? Plus inégalitaire que jamais, l’éducation nationale française réussit aux élites, mais ne parvient pas à donner aux enfants défavorisés le bagage minimal dont ils ont besoin pour comprendre un article de journal ou un problème d’arithmétique. Jusqu’à la seconde génération, une famille issue de l’immigration affiche des résultats scolaires en très net retard.

    Ce résultat est-il inéluctable ? Non. La complexité de la langue française n’est pas en cause car, à difficulté égale, le Québec et la Belgique réussissent nettement mieux que la France. Le sociologue Jérôme Deauvieau, dans un rapport récent, identifie l’un des nœuds du problème : l’enseignement de la lecture au cours préparatoire (CP).

    Il est allé enquêter dans les quartiers populaires de la petite couronne parisienne, les zones « Eclairs », anciennement  zones d’éducation prioritaires (ZEP) où habitent les enfants les plus pauvres et les plus difficiles à scolariser. Son objectif :recenser les stratégies éducatives des enseignants, répertorier les manuels qu’ils choisissent d’utiliser, et évaluer l’impact de ces manuels sur les capacités de lecture des élèves en fin de CP.

    Recommander les meilleurs manuels

    Premier scandale. Pourquoi le département d’évaluation des programmes de l’éducation nationale n’a-t-il jamais pris la peine de mener lui-même une telle évaluation ? Cela lui serait pourtant facile : il lui suffirait de croiser les chiffres recueillis dans chaque classe lors des évaluations nationales des élèves avec les méthodes qu’elles utilisent. Lorsque l’on dépense un budget annuel de 63,4 milliards d’euros, la moindre des choses est d’optimiser ses pratiques. Pourquoi l’éducation nationale refuse-t-elle encore de recommander à ses enseignants les meilleurs manuels ?

    Deuxième scandale dévoilé par l’enquête Deauvieau : nous sommes en 2013, et 77 % des enseignants des zones défavorisées choisissent toujours un manuel de lecture inapproprié, qui fait appel à une méthode mixte, c’est-à-dire où l’enfant passe un temps considérable à des exercices de lecture globale et de devinettes de mots qu’il n’a jamais appris à décoder.

    Seuls 4 % adoptent une méthode syllabique, qui propose un enseignement systématique et structuré des correspondances entre les lettres et les sons. Or les résultats montrent que c’est ce système qui réussit le mieux aux enfants, et de très loin : 20 points de réussite supplémentaires sur 100 aux épreuves de lecture et de compréhension !

    Ce résultat vient confirmer ce que trois décennies de recherches en psychologie cognitive ont démontré : seul l’enseignement explicite du décodage graphophonologique est vraiment efficace. En 2000, par exemple, une vaste méta-analyse américaine montre que les enfants à qui on enseigne ces principes parviennent plus vite, non seulement à lire à haute voix, mais également à comprendre le sens de ce qu’ils lisent.

    Ce n’est guère étonnant : l’invention de l’alphabet a demandé plusieurs siècles, comment imaginer que l’enfant le découvre seul ? Le principe alphabétique ne va pas de soi. Il faut en enseigner explicitement tous les détails : la correspondance de chaque son du langage avec une lettre ou un groupe de lettres ; et la relation entre la position de chaque lettre dans le mot écrit et l’ordre de chacun des phonèmes dans le mot parlé.

    Les recherches de mon laboratoire, fondées sur l’imagerie cérébrale, le confirment : tous les enfants apprennent à lire avec le même réseau d’aires cérébrales, qui met en liaison l’analyse visuelle de la chaîne de lettres avec le code phonologique. Entraîner le décodage graphème-phonème est la manière la plus rapide de développer ce réseau, y compris pour les enfants défavorisés ou dyslexiques.

    L’éducation fondée sur la preuve

    Comment expliquer qu’en France les stratégies de lecture qui ont prouvé leur efficacité ne soient pas proposées à tous les enfants ? La réponse est simple : la formation des enseignants ne leur a jamais expliqué qu’il existe une approche scientifique de l’apprentissage. Résultat : bon nombre d’enseignants « bricolent », selon le mot de Jérôme Deauvieau.

    Leur enfer scolaire est pavé de bonnes intentions pédagogiques. Ils conçoivent l’enseignement comme un art, où l’intuition et la bonne volonté tiennent lieu d’instruments de mesure. Combien de fois m’a-t-on dit : « La méthode globale ne fait pas de mal, je l’emploie depuis des années, et la plupart de mes élèves savent lire. » Mais 5 ou 6 enfants par classe en échec, c’est précisément ce que crient les statistiques : 20 % des élèves n’apprennent pas à lire, et ce sont ceux de bas niveau socio-économique ; les autres réussissent parce que leur famille compense, tant bien que mal, les déficiences de l’école.

    Partout ailleurs dans le monde s’impose pourtant l’idée d’une éducation fondée sur la preuve, c’est-à-dire sur une évaluation rigoureuse des stratégies éducatives, et de vastes études contrôlées, multicentriques et statistiquement validées.

    Ces études ont conduit à identifier plusieurs principes fondamentaux qui maximisent la compréhension et la mémoire. Ces principes doivent être mis en œuvre au plus vite dans les classes françaises. Il est urgent que la formation des maîtres inclue un bagage minimal de connaissances sur l’enfant et la science de l’apprentissage.

    Un bagage minimum de sciences cognitives pour les enseignants

    Ces connaissances, quelles sont-elles ? Tout d’abord que, contrairement à ce qu’envisageait Jean Piaget (1896-1980), l’enfant n’est pas dépourvu de compétences logiques abstraites. Bien au contraire, le cerveau de l’enfant est structuré dès la naissance, ce qui lui confère des intuitions profondes.

    Il est doté de puissants et rigoureux algorithmes d’inférence statistique. En conséquence, l’école doit fournir à ce « super-ordinateur » un environnement enrichi : un enseignement structuré et exigeant, tout en étant accueillant, généreux, et tolérant à l’erreur.

    Les neurosciences cognitives ont identifié quatre facteurs qui déterminent la facilité d’apprentissage. En premier, l’attention : elle fonctionne comme un projecteur, qui amplifie l’apprentissage, mais dont le rayon d’action est limité. Le plus grand talent d’un enseignant consiste donc à attirer, à chaque instant, l’attention de l’enfant sur le bon niveau d’analyse.

    Une expérience remarquable montre ainsi que le même alphabet sera appris rapidement ou, au contraire, totalement oublié, selon que l’on s’arrête sur les lettres ou, au contraire, sur la forme globale du mot : l’attention globale canalise l’apprentissage vers une aire cérébrale inappropriée de l’hémisphère droit et entrave le circuit efficace de lecture. On mesure ici combien la méthode mixte, en désorientant l’attention, cause de dégâts.

    Deuxième facteur : l’engagement actif. Un organisme passif n’apprend pas. Un organisme passif n’apprend pas. L’apprentissage est optimal lorsque l’enfant génère activement des réponses, et se teste régulièrement. L’auto-évaluation est donc une composante fondamentale de l’apprentissage, déjà identifié par Maria Montessori  (1870-1952).

    Une classe efficace alterne, chaque jour, des périodes d’enseignement explicite et des périodes de contrôle des connaissances (lecture à haute voix, questions/réponses, quiz…). Ces derniers développent la « méta-cognition », la connaissance objective de ses propres limites et l’envie d’en savoir plus.

    Troisième facteur : le retour d’information (ou « feedback »). Notre cerveau n’apprend que s’il reçoit des signaux d’erreur qui lui indiquent que son modèle interne doit être rectifié. L’erreur est donc non seulement normale, mais indispensable à l’apprentissage.

    Elle n’implique ni sanction, ni punition, ni mauvaise note (celles-ci ne font qu’augmenter la peur, le stress et le sentiment d’impuissance de l’enfant). Dans une classe efficace, l’enfant essaie souvent, se trompe parfois, et il est gentiment corrigé pour ses erreurs et récompensé pour ses succès.

    Quatrième pilier, enfin, l’automatisation. En début d’apprentissage, l’effort mobilise toutes les ressources du cortex frontal. Afin de libérer l’esprit pour d’autres tâches, il est indispensable que la connaissance devienne routinière. En lecture, par exemple, ce n’est que lorsque le décodage des mots devient automatique que l’enfant peut se concentrer sur le sens du texte.

    La répétition quotidienne va transférer l’apprentissage vers des circuits cérébraux automatiques et non conscients. Le sommeil fait partie intégrante de cet algorithme : dormir, c’est consolider les apprentissages de la journée. Voilà pourquoi la réforme des rythmes scolaires, en répartissant l’enseignement tout au long de la semaine, va dans le bon sens.

    Des améliorations rapides

    De nombreux exemples démontrent que, déclinés à l’école, ces principes conduisent à des améliorations rapides. Au Royaume-Uni, « l’heure de lecture », un cours quotidien, structuré, axé sur le décodage, la lecture à haute voix, l’écriture manuscrite et l’enrichissement du vocabulaire, a fait bondir les performances des enfants. Dans la ZEP de Gennevilliers, une maternelle, en s’appuyant sur le matériel pédagogique de Maria Montessori et les principes cognitifs que je viens d’esquisser, obtient des résultats exceptionnels : avant même l’entrée en CP, tous les enfants savent lire et faire des calculs à quatre chiffres !

    Aucune fatalité, donc, à ce que notre éducation nationale soit abonnée aux mauvaises performances. Reste l’urgence d’une mobilisation de tous, parents, enseignants, inspecteurs, ministres, afin d’exiger de notre école rigueur et efficacité pédagogique.

  • Le code visuel des lettres et des graphèmes

    Les correspondances graphème-phonème

    Le jeune enfant présente une tendance spontanée à traiter chaque objet comme un tout. Il ne voit pas nécessairement que les mots sont constitués de lettres.

    Déchiffrer l’écriture alphabétique demande d’orienter l’attention à l’intérieur des mots afin d’y repérer les briques élémentaires : les lettres.

    Le principe même de l’alphabet, c’est que chaque son du langage, chaque phonème, est dénoté par un graphème.

    On appelle phonème l’unité sonore élémentaire du langage. Les consonnes comme /p/, /t/, /k/, /ch/ et les voyelles comme /a/, /i/ mais aussi /on/ et /ou/ sont des phonèmes. Si vous bien attention, derrière la lettre ‘x’, il y a deux phonèmes : ‘x’ = ‘k’ + ‘s’ ! Les syllabes sont composées d’une séquence de phonèmes: /sur/ = /s/ + /u/ + /r/ (consonne-voyelle-consonne ou CVC). L’assemblage des phonèmes fait que certaines syllabes sont plus complexes que d’autres (/strict/ = CCCVCC).

    On appelle graphème une lettre ou un groupe de lettres qui représentent un son élémentaire. Certaines lettres se prononcent seules, d’autres se combinent pour former des graphèmes complexes, c’est-à-dire les groupes de lettres comme ‘ch’, ‘on’ ou ‘eux’.

    L’enfant doit comprendre que les graphèmes sont en tout petit nombre, qu’à chacun correspond un son, et que ce sont leurs combinaisons, dans un ordre précis et de gauche à droite, qui définissent le mot.

    Chaque graphème se prononce d’une manière  typique. Ainsi, les lettres ‘ch’ se prononcent presque toujours /ch/. Cependant, l’orthographe du français présente également de nombreuses exceptions. Par exemple ‘ch’ se prononce parfois ‘k’, comme dans ‘chorale’. Apprendre à lire, en français, demande donc de maîtriser près d’une centaine de correspondances graphème-phonème.

    Les enseignants intéressés pourront trouver une liste complète des correspondances graphème-phonème du français, dans un ordre rationnel et adapté à l’enseignement, dans le livre Apprendre à Lire.

    La « boîte aux lettres du cerveau »

    La création d’un code visuel efficace de l’écriture demande une transformation profonde de la région que nous avons appelé la « boîte aux lettres du cerveau ». Chez un bon lecteur, cette région code non seulement les lettres isolées, mais aussi les combinaisons de lettres qui correspondent à des graphèmes, à des syllabes et à des morphèmes.

    Former ce circuit cérébral n’est pas simple. La simple exposition d’un enfant à des lettres ne suffit pas. Ce qui transforme vraiment le circuit de la lecture, c’est l’enseignement systématique des correspondances entre les lettres et les sons du langage.

    L’expérimentation pédagogique dans les classes le confirme : les enfants à qui l’on enseigne explicitement quelles lettres correspondent à quels sons apprennent plus vite à lire que d’autres enfants à qui on laisse découvrir le principe de l’alphabet.

    L’inefficacité de la lecture “globale”

    Une expérience remarquable prouve l’importance d’attirer l’attention de l’enfant sur les lettres et leurs correspondances avec les sons.

    Lorsque quelqu’un apprend un alphabet nouveau, l’apprentissage varie massivement selon qu’elle distribue son attention vers les lettres ou vers les mots tout entiers.

    Si on lui explique que les mots sont constitués de lettres qui représentent des fragments élémentaires du langage parlé, elle apprend rapidement à lire, et l’imagerie cérébrale montre une activation normale de l’aire de la forme visuelle des mots – autrement dit, elle devient très vite un lecteur expert.

    Si, par contre, on lui présente les mêmes mots comme des formes globales, sans lui dire qu’ils sont composés de lettres, elle n’apprend guère, car sa mémoire est vite dépassée. Surtout, elle active une aire cérébrale inadéquate dans l’hémisphère droit. En adressant les informations vers ce circuit inapproprié, la stratégie de lecture globale interdit tout apprentissage efficace.

    Abandonner la lecture globale et prêter attention aux composants élémentaires des mots, un par un, dans un ordre bien précis, est une étape essentielle de l’apprentissage.

  • L’équipe de Johannes Ziegler du Laboratoire de Psychologie Cognitive (LPC, Université d’Aix-MArseille) a mis en ligne le GraphoLearn, un jeu d’aide à l’apprentissage de la lecture, pour le moment (mai 2020) uniquement sur android

  • Le cerveau lecteur

    Par quels circuits cérébraux passe la lecture ? Comment se modifient-ils quand on apprend à lire?

    Le cerveau avant la lecture

    Avant la lecture, les régions cérébrales du langage parlé, située le plus souvent dans l’hémisphère gauche du cerveau, sont déjà en place — l’enfant sait parler, comprendre les phrases, et son vocabulaire s’enrichit de plusieurs milliers de mots par an.

    Un enfant prélecteur sait également reconnaître les objets qu’il voit et les nommer : il possède donc un système visuel organisé, sophistiqué et déjà connecté aux aires cérébrales du langage.

    Mais lire un mot ne ressemble pas vraiment à nommer un objet. Pour lire, une partie des aires visuelles du cerveau doit se spécialiser pour les lettres et les mots écrits. La lecture développe une interface, une connexion entre la vision et les aires cérébrales du langage parlé.

    La «  région de la forme visuelle des mots  »: la boîte aux lettres du cerveau

    Avant d’apprendre à lire, tous les mots écrits se ressemblent. Pour un illettré,  il n’est pas facile de repérer les minuscules différences qui distinguent un e d’un o ou d’un c. Une région particulière du cerveau doit se spécialiser dans le décryptage des lettres et de leurs combinaisons.

    En comparant le cerveau de lecteurs et d’illettrés, nous avons découvert que le principal changement qu’impose la lecture se situe dans l’hémisphère gauche, dans une région bien précise qu’on appelle l’aire de la forme visuelle des mots. C’est elle qui concentre toutes nos connaissances visuelles sur les lettres et leurs combinaisons. Lors de la présentation de lettres, son activité s’accroît en proportion directe du niveau de lecture  : mieux on sait lire, et plus elle répond. Au cours de l’apprentissage, sa réponse augmente donc progressivement, sans doute parce qu’un nombre croissant de neurones se spécialise dans la lecture .

    La théorie du recyclage neuronal

    Avant d’apprendre à lire, cette « aire de la forme visuelle des mots  » n’est pas inactive — mais elle sert à autre chose qu’à lire.
    Elle appartient à une région plus large qui, chez l’homme comme chez les autres primates, sert à reconnaître les visages, les objets et les formes géométriques. Apprendre à lire consiste à recycler un morceau de ce cortex afin qu’une partie des neurones qui s’y trouvent réorientent leurs préférences vers la reconnaissance des lettres – c’est la théorie du recyclage neuronal.

    Dans cette aire de la forme visuelle des mots, au cours de l’apprentissage de la lecture, les réponses aux mots augmentent, tandis que les réponses à tout ce qui n’est pas de l’écriture, comme les visages, diminuent progressivement : la lecture entre en compétition avec les connaissances préalablement installées dans ce secteur du cortex.

    L'aire de la forme visuelle des mots:
    Localisation approximative de l’aire visuelle de la forme des mots — la “boîte aux lettres” du cerveau

    Ce morceau de cortex doit apprendre que A et a, si différents en apparence, sont en fait la même lettre, alors que e et c, qui se ressemblent, doivent être distingués. Il apprend également que l’ordre des lettres compte, que certaines combinaisons de lettres sont fréquentes et d’autres rares… toutes ces connaissances sont codées dans cette région. D’ailleurs, chez un adulte, si cette région est détériorée par une lésion ou un accident vasculaire, la lecture devient strictement impossible. C’est ce qu’on appelle l’alexie pure: un déficit sélectif de la reconnaissance des mots écrits, qui apparaît à la suite d’une lésion cérébrale.

    Quelles sont les différences entre un lettré et un illettré ?

    L’aire de la forme visuelle des mots n’est pas la seule région du cerveau qui se développe avec la lecture. Comme l’ont montré plusieurs laboratoires, toute la chaîne qui relie la vision au langage parlé se modifie, et n’est donc plus la même chez un bon lecteur que chez un illettré.

    Lire raffine la précision de la vision : chez le lecteur expert, ce raffinement de la précision visuelle se traduit par un surcroît d’activité dans les aires visuelles qui reçoivent les informations de la zone horizontale de la rétine, celle où se situent les lettres.

    Régions du cerveau dont l'activité augmente avec le score de lecture, en réponse à des phrases écrites.
    Régions du cerveau dont l’activité augmente avec le score de lecture: mieux une personne lit, plus ces régions s’activent.

    Lire apprend à recoder les sons du langage  : une région appelée planum temporale, située juste en arrière de l’aire auditive primaire, augmente fortement son activité chez les lettrés comparés aux illettrés. Or cette région ne répond qu’au langage parlé, on peut donc penser que le codage même des sons du langage se modifie avec l’apprentissage de l’alphabet. Effectivement, les illettrés codent moins bien les mots parlés, surtout de faux mots comme «  paison  », qu’ils confondent avec des mots connus comme «  maison  ». En conséquence, lire renforce la mémoire orale  : les illettrés ne peuvent pas répéter une longue suite de syllabes comme ‘pa ta ma di lo ke’. Surtout, leur capacité à manipuler les phonèmes est réduite. Ils ne savent pas reconnaître le même son ‘b’ dans ‘ba’ et dans ‘ab’, ni enlever le premier son du mot «  mari  » (ce qui donne «  ari ). Toutes ces compétences, qui forment la conscience phonologique, se développent lorsque l’on apprend à lire.

    Lire donne accès au langage par la vision : Chez un bon lecteur, toutes les régions du cerveau qui s’activent lors de l’écoute du langage oral parviennent également à s’activer par le biais de la lecture silencieuse. Ainsi, la lecture nous donne accès, par la vision, à tous les mots et à toutes les phrases que nous sommes capables de comprendre à l’oral.

    [Ce texte est adapté de l’ouvrage “Apprendre à lire : Des sciences cognitives à la salle de classe”, dirigé par Stanislas Dehaene et publié aux éditions Odile Jacob (2011).]

     

  • Le cerveau avant la lecture

    Pas de neurones prévus pour la lecture…

    Lire n’est pas une activité naturelle pour l’enfant. L’écriture est une invention trop récente dans l’histoire de l’humanité pour avoir pu influencer l’évolution de notre cerveau : notre patrimoine génétique ne comprend pas d’instructions pour lire ni de circuits dédiés à la lecture. C’est avec beaucoup d’efforts que nous pouvons recycler certaines prédispositions de notre cerveau afin de devenir un lecteur expert.

    …mais toute une architecture dédiée dès la naissance au langage.

    BabyLanguage
    Le bébé de 2 mois active déjà ses aires du langage, dans l’hémisphère gauche, lorsqu’il écoute des phrases dans sa langue maternelle.

     

    Bien avant d’apprendre à lire, l’enfant est déjà un expert du langage parlé. L’imagerie cérébrale montre que, dès les premiers mois de vie, l’enfant qui écoute des phrases de sa langue maternelle active déjà les mêmes régions appropriées que chez l’adulte. L’hémisphère gauche, qui est l’hémisphère dominant pour le langage chez la plupart des adultes, abrite déjà, chez le bébé de quelques mois, des circuits neuronaux qui répondent à la voix (particulièrement à celle de la maman) et qui distinguent des syllabes proches comme ‘ba’ et ‘da’.

     

     

    Une histoire de la construction du langage

    À la naissance

    • le bébé écoute surtout la mélodie des phrases mais il est déjà capable de différencier deux syllabes proches comme ba et da. Il est même bien meilleur qu’un adulte puisqu’il différencie la plupart des contrastes phonétiques utilisées par les langues humaines alors que nous adultes, avons perdu ceux qui ne sont pas présents dans notre langue. Ainsi les bébés espagnols discriminent les sons é et è mais pas les adultes, les bébés japonais discriminent r et l mais pas les adultes, etc..

     

    Vers six mois

    • il devient particulièrement sensible aux sons employés dans sa langue maternelle, voyelles, consonnes mais aussi comment ces sons sont combinés, par exemple la suite /cn/ est peu fréquente en français contrairement à /cr/. Les petits anglophones qui ne différentiait pas les phrases en anglais et en néerlandais car la mélodie des deux langues est très proches, le font à cet âge car les suites de sons dans les deux langues sont très différentes.

     

    Avant un an

    • le bébé dispose déjà d’un embryon de lexique mental : il connait depuis l’âge de 4 mois certains mots comme son prénom, papa, maman et il repère de mieux en mieux les formes sonores qui se répètent dans les phrases. Il peut commencer à les associer à un sens. Sa perception auditive est maintenant très influencée par sa langue maternelle.

     

    A la fin de la deuxième année

    • les règles grammaticales qui les relient émergent : l’enfant reconnaît alors la différence entre
      « la montre », où « montre » est un nom, et « je montre », où « montre » est un verbe.
      Il comprend également l’importance de l’ordre des mots (« mange pas », « pas manger »).
    • Le lexique explose. Au moment de l’explosion lexicale qui survient entre 18 mois et 2 ans, il peut apprendre jusqu’à 50 mots par jour!

     

    Vers trois-quatre ans

    • ses phrases deviennent élaborées. Bien que son vocabulaire grandisse encore de plus d’une dizaine de mots par jour, on peut déjà le considérer comme un linguiste expert.

     

    Entre quatre et six ans

    • la conscience phonologique émerge : l’enfant prend progressivement conscience des structures du langage oral. Il décompose les mots en syllabes, puis en phonèmes, auxquels il est désormais capable d’accéder directement. Les jeux de mots, les rimes ou les contrepèteries l’aident à progresser!
      L’émergence de cette compétence est une condition de l’apprentissage de la lecture, car pour lire, l’enfant doit apprendre à accéder à ces structures par une nouvelle voie : la vision.

    [Ce texte est adapté de l’ouvrage “Apprendre à lire : Des sciences cognitives à la salle de classe”, dirigé par Stanislas Dehaene et publié aux éditions Odile Jacob (2011).]

  • Une introduction à la lecture

    Comment faisons-nous pour lire ?

    Au cours des vingt dernières années, la psychologie expérimentale et l’imagerie cérébrale ont clarifié la manière dont le cerveau humain reconnaît l’écriture et se modifie au fil de cet apprentissage. Nous disposons aujourd’hui d’une véritable science de la lecture.
    Bien sûr, la connaissance du cerveau ne permet pas de prescrire une unique méthode de lecture. Au contraire, la science de la lecture est compatible avec une grande liberté pédagogique, des styles très variés d’enseignement et de nombreux exercices qui laissent le champ libre à l’imagination de l’enseignant et des enfants.

    Un seul objectif

    Aider l’enfant à progresser, le plus vite possible, dans la reconnaissance fluide des mots écrits.
    Plus la lecture sera automatisée, plus l’enfant pourra concentrer son attention sur la compréhension de ce qu’il lit et devenir ainsi un lecteur autonome, qui lit autant pour apprendre que pour son propre plaisir.

    [Ce texte est adapté de l’ouvrage “Apprendre à lire : Des sciences cognitives à la salle de classe”, dirigé par Stanislas Dehaene et publié aux éditions Odile Jacob (2011).]

  • Devenir un lecteur rapide

    Les débuts de l’apprentissage

    Au CP, la lecture demande à l’enfant un immense effort d’attention : elle implique de passer en revue chacune des lettres dans le bon ordre sans en oublier une seule, tout en se souvenant de leurs correspondances avec les phonèmes, et en les assemblant en mémoire pour former un mot. Le travail des lecteurs débutants se voit donc directement dans leur temps de lecture d’un mot. Chez le lecteur débutant, celui-ci est très long et augmente en proportion directe du nombre de lettres que contient le mot (Zoccolotti 2005).

    À ce stade, l’activité cérébrale recrute un réseau de régions cérébrales très étendu, qui déborde du réseau normal de la lecture chez l’adulte. Certaines de ces régions sont associées aux mouvements des yeux, d’autres à des processus génériques de mémoire et à l’attention. Le réseau du langage oral, notamment les régions liées à l’articulation, est également massivement recruté.

    L’automatisation de la lecture

    L’automatisation de la lecture est un processus très progressif, qui s’étend sur plusieurs années. Elle se manifeste de plusieurs manières (pour une synthèse en français, voir Sprenger-Charolles 2006) :

    • Les aires génériques du cortex frontal et pariétal, fortement mobilisées par le lecteur débutant (mouvement des yeux, articulation, attention, etc), se libèrent : elles peuvent être utilisées pour d’autres activités.
    • La lecture passe d’un mode sériel à un mode parallèle : le temps de lecture diminue et dépend de moins en moins du nombre de lettres du mot. Un adulte met le même temps pour lire un mot de trois lettres qu’un mot de huit lettres.Ce constat a longtemps fait croire que le cerveau se servait de la « forme globale » du mot : en réalité, chacun des traits, chacune des lettres sont analysés, mais chez le lecteur expert, des millions de neurones y sont consacrés et cette analyse se produit donc simultanément en chaque endroit du mot.
    • Les mots les plus fréquents sont reconnus plus vite que les mots rares ou que les néologismes. L’enfant commence en fait à développer la seconde voie de la lecture, celle qui permet de passer directement de la chaîne de lettres au sens du mot, sans l’intermédiaire de la prononciation (orale ou mentale).
    • Les mots sont automatiquement décomposés en morphèmes. Le morphème est la plus petite unité “porteuse de sens” dans un énoncé. De nombreux mots sont composés de plusieurs morphèmes (« rechuter » = re + chute + infinitif). Le cerveau du lecteur expert reconnait ces éléments automatiquement, à tel point que cette stratégie est inconsciemment appliquée à des mots inappropriés comme « regarder », qui n’a rien à voir avec « garder de nouveau »  ! Le cerveau du lecteur expert file droit au sens.

    Comment faciliter l’automatisation de la lecture ?

    Il faut d’abord que l’enfant maîtrise parfaitement le décodage: qu’il sache passer, automatiquement, des lettres aux sons, sans effort de mémoire.

    Il faut ensuite lire quotidiennement : l’expertise des adolescents en compréhension des textes écrits dépend massivement de la fréquence et de l’intensité des lectures de l’enfance (Cunningham 1997). L’apprentissage est optimal lorsque l’on teste les enfants régulièrement, en n’hésitant pas à répéter les tests même sur des points qui sont déjà connus – cela renforce la mémoire.

    Enfin, après le CP, il faut enseigner explicitement la morphologie du français (racines, terminaisons). L’enseignement du décodage n’est que le point de départ de la lecture. L’apprentissage de toutes les difficultés du français écrit doit continuer bien au-delà de l’école primaire.

  • Le stade du miroir et le rôle de l’écriture

    La confusion des lettres en miroir

    Beaucoup d’enfants font, un jour ou l’autre, des erreurs en miroir: ils confondent les p avec les q, les b avec les d, et il leur arrive même d’écrire leur prénom à l’envers.

    S’agit-il d’une dyslexie?

    Pas du tout. Les sciences cognitives de la lecture ont montré que les erreurs en miroir représentent une étape parfaitement normale de l’apprentissage.

    L’évolution nous a joué un tour

    En fait, l’évolution nous a joué un tour. Lorsque nous apprenons à lire, nous recyclons une région cérébrale qui deviendra la ‘boîte aux lettres du cerveau’. Or, cette région de notre cerveau n’a pas évolué pour la lecture. Au départ, elle sert à reconnaître les objets et les visages. Et cette région ne peut pas s’empêcher de juger que des images symétriques en miroir correspondent à un seul et même objet. Dans le monde naturel dans lequel tous les primates ont évolué, il était avantageux de reconnaître un arbre, un tigre ou un visage sous n’importe quel angle.

    Aujourd’hui, cette propriété est devenue un désavantage pour l’apprentissage de la lecture. L’enfant doit distinguer les lettres p et q, b et d, alors que son système visuel les juge identiques. Tous les enfants, et pas seulement les dyslexiques, confondent transitoirement les lettres en miroir.

    Pour lire avec agilité, la « boîte aux lettres du cerveau » doit désapprendre cette ressemblance entre les lettres en miroir.

    Le rôle du geste d’écriture

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    L’apprentissage du geste d’écriture semble jouer un rôle crucial dans la disparition des erreurs en miroir.

    La région « ventrale » du cerveau, qui nous sert à reconnaître les objets, confond les images en miroir. Mais la voie « dorsale », qui relie la vision aux aires motrices et  qui commande nos gestes, distingue l’orientation des objets. Pensez à la saisie d’une casserole : elle sera bien différente selon que le manche soit orienté à droite ou à gauche. Le geste peut donc aider à lever l’ambiguïté de l’orientation des lettres.

    Effectivement, l’expérience montre que de simples exercices de tracé des lettres avec le doigt améliorent considérablement l’apprentissage de la lecture. Le geste d’écriture oriente l’enfant dans l’espace, en lui faisant comprendre que la chaîne de lettres doit être lue de gauche à droite. La reconnaissance du geste joue également un rôle essentiel dans le déchiffrement de l’écriture manuscrite. Nous reconnaissons les caractères manuscrits en partie en reconstituant le geste qui les a engendrés.

    Pour toutes ces raisons, apprendre à écrire « dope » nos capacités de lecture. Nous recommandons de pratiquer des exercices d’écriture le plus tôt possible, et de faire tracer des lettres avec le doigt dès la maternelle, comme le suggère par exemple la méthode de Maria Montessori.

  • La conscience phonémique

    La conscience phonémique est la prise de conscience que le langage parlé est composé de sons élémentaires, les phonèmes, qui sont les plus petites unités de la parole.

    Elle fait partie des compétences fondamentales qui amènent l’enfant à la lecture.

    De la syllabe au phonème

    Au départ, lorsqu’il écoute de la parole, l’enfant pré-lecteur fait attention aux mots tout entiers. Or, chaque lettre ou groupe de lettres de notre alphabet fait référence à un son élémentaire, comme ‘p’, ‘ch’ ou ‘ou’.

    Pour lire, l’enfant doit avant tout apprendre à décomposer les mots parlés, d’abord en syllabes («  mystère  » =  ‘my’ + ‘stère’), elles-mêmes formées d’un bloc de consonnes initiales (‘st’) et d’une rime (la voyelle et tout ce qui suit, par exemple ‘ère’), chacun de ces morceaux pouvant lui-même se subdiviser en phonèmes élémentaires (‘s’, ‘t’, ‘è’, ‘r’).

    Pour l’enfant de maternelle, cette décomposition en phonèmes n’a rien d’évident. C’est l’apprentissage de la lecture dans une écriture alphabétique qui la fait émerger. L’apparition de la conscience phonémique est l’une des étapes clé sur le chemin de la lecture.

    Des jeux pour préparer la phonologie

    On peut accélérer l’acquisition de la lecture en jouant à des jeux de langage dès le plus jeune âge.

    Les comptines, les rimes, les devinettes («  qu’est-ce qui se mange et qui commence par ‘pou’  ?  »), la recherche de mots qui se terminent par un certain son, etc.  : tout ce qui fait manipuler la sonorité des mots prépare à la lecture.

  • Principe d’adaptation au niveau de l’enfant

    L’approche que nous proposons se base sur les connaissances actuelles sur l’apprentissage. C’est un canevas qui permet d’informer l’action pédagogique mais qui ne doit pas être suivi de façon mécanique. Le bon enseignant n’est pas celui qui parcourt les pages d’un manuel sans se préoccuper de savoir si les élèves suivent, mais celui qui propose, jour après jour, des défis adaptés au niveau des enfants et les entraîne en douceur au-delà de leurs connaissances actuelles. C’est à ce prix que l’enfant reste stimulé mais pas découragé, avec toujours le sentiment de progresser.

    Détecter les difficultés, adapter les exercices

    La stratégie que nous préconisons repose sur l’adaptation permanente des exercices au niveau des enfants :

    • Si tel enfant meurt d’envie de lire un mot compliqué, pourquoi ne pas lui expliquer dès maintenant plutôt que dans trois mois ? À condition de prendre le temps de lui donner, rationnellement, toutes les explications dont il a besoin, en suivant les principes énoncés plus haut.
    • À l’inverse, si les enfants n’ont pas compris comment la combinaison d’une consonne et d’une voyelle donne une syllabe, n’allons pas plus loin et concentrons-nous sur cette difficulté centrale, en variant les exemples.7

    Evaluer régulièrement les compétences

    L’évaluation régulière des compétences est indispensable pour ajuster l’enseignement aux besoins de l’enfant. C’est pourquoi un bon enseignant doit régulièrement évaluer chaque enfant par de petits tests.

    La recherche en psychologie expérimentale démontre que l’enfant lui-même est le premier bénéficiaire de ces tests : il progresse en se rendant compte, par lui-même, de ce qu’il ne sait pas. C’est l’auto-évaluation, préalable indispensable à un apprentissage autonome, où l’enfant lui-même choisit d’approfondir les sujets qu’il ne maîtrise pas.

    S’adapter à une classe hétérogène

    On objectera, à juste titre, qu’il n’est pas facile de mettre en œuvre ces idées lorsque l’enseignant doit faire face à une classe nombreuse et hétérogène.

    • Souvenons-nous d’abord que la classe entière peut bénéficier de travaux collectifs destinés aux élèves moins avancés – la répétition est la clé de la routinisation.
    • Une autre solution passe par l’autonomie des enfants : dans certaines écoles inspirées par Maria Montessori, chaque enfant choisit des exercices individuels qu’il réalise ensuite seul, à son propre rythme. Le fait de se fixer soi- même, chaque semaine, des objectifs ambitieux, constitue déjà une excellente pédagogie.
    • Enfin, toute école digne de ce nom devrait réserver des périodes spécifiques au soutien individuel des enfants en difficulté. Leur rattrapage maintient la cohésion de la classe et garantit donc la possibilité même de maintenir une pédagogie de groupe, tout au long de l’année.
  • Principe d’engagement actif, d’attention et de plaisir

    Comment faciliter au maximum l’apprentissage? Les recherches en neurosciences ont identifié plusieurs facteurs qui modulent la vitesse de l’apprentissage et la durée de la mémoire :

    L’engagement actif de l’enfant

    • Pour apprendre rapidement, l’enfant doit être sollicité, engagé, actif. L’apprentissage est le plus efficace lorsque l’enfant, sollicité par une question ou un exercice, essaie de générer de lui-même une réponse (à haute voix ou mentalement).

    L’attention

    • Faire attention à un aspect du monde extérieur amplifie massivement l’activation cérébrale qu’il évoque. Lorsqu’elle est orientée vers le bon niveau de codage de ce qui doit être appris, l’attention accélère l’apprentissage. Apprendre, c’est aussi apprendre à faire attention.

    Le plaisir

    • L’apprentissage est facilité lorsque l’enfant est récompensé de ses efforts. Aucun enfant n’est insensible aux récompenses matérielles ni aux bonnes notes. Cependant, le regard des autres est une motivation plus importante encore. Le sentiment d’être apprécié ou admiré, la conscience que l’enfant a de progresser, de réussir quelque chose qui lui paraissait difficile, apportent leur propre récompense.

    Nos recommandations

    En résumé, l’enseignant doit proposer un environnement motivant, où l’enfant est actif, trouve du plaisir à apprendre, se sent autorisé à faire des erreurs (qui sont rapidement corrigées), et où il est toujours récompensé de ses efforts.

    Les activités doivent être ludiques et faire appel, par exemple pour la lecture, à des jeux de rimes, des comptines, des « mots tordus », etc. Elles doivent stimuler la participation et la créativité de l’enfant.

  • Principe de choix rationnel des exemples et des exercices

    Les exemples et les exercices qui sont proposés à l’enfant doivent être sélectionnés avec le plus grand soin. Pas question de choisir des mots ou des textes au petit bonheur !

    En effet, l’enfant s’appuie sur toutes les situations qu’il rencontre pour en inférer ce qu’il pense être la règle ou la réponse attendue de l’enseignant. Voici donc quelques règles simples :

    Concordance avec l’enseignement

    Au cours des premières leçons, il faut éviter de proposer des mots qui font appel à des associations entre graphèmes et phonèmes qui n’ont pas encore été apprises. Comment l’enfant pourrait-il les lire ? Cela l’inciterait à deviner plutôt qu’à décoder… et à croire que lire, c’est deviner.

    Dans les premières semaines de lecture, on ne proposera donc à l’enfant que des mots ou des phrases spécialement écrites avec les quelques graphèmes qui lui ont été enseignés (“papa”, “lili”, “Ali a réussi à lire”). Ce n’est pas un problème: il aura bien le temps de lire des textes plus complexes dans les mois qui viennent. On peut tout à fait faire lire à l’enfant des mots rares formés des letttres qu’il connait (le lasso, la sole…). Cela ne peut qu’enrichir son vocabulaire.

    Certaines méthodes de lecture proposent de copier ou de “lire” des textes quelconques dès les premières semaines, sous prétexte de “faire entrer l’enfant dans le monde de l’écrit”, sans tenir compte du fait que l’enfant ne dispose pas encore des connaissances suffisantes pour les décoder. Elles se trompent de cible. L’enfant ne peut rien en faire. Au mieux, il perd son temps; au pire, son attention se détourne du niveau des lettres, et il risque de développer des stratégies de lecture inappropriées.

    Proscrire les mots mal orthographiés

    Nous suggérons également de ne jamais présenter de mots erronés ou mal orthographiés. En effet, l’enfant finirait par mémoriser ces erreurs.

    Dès que possible, les exemples choisis feront donc appel à de vrais mots du français ou, au début de l’apprentissage, à des syllabes fréquentes. On peut à la rigueur utiliser des « mots tordus » pour faire comprendre de subtiles différences (par exemple, boule ou doule pour apprendre à distinguer les lettres en miroir) –, mais, même dans ce cas, il est souvent possible de choisir de vrais mots (par exemple, balle ou dalle).

    Varier les exemples et les exercices

    Les enfants en difficulté adoptent parfois des stratégies qui se substituent à la lecture authentique, telle que la mémorisation par cœur des pages des manuels. C’est pourquoi l’enseignant doit éviter de s’appuyer sur quelques posters figés ou sur quelques pages d’exemples stéréotypés, dont l’enfant aura vite fait d’apprendre par cœur la disposition et le contenu. Chaque nouvelle leçon de lecture doit s’accompagner d’une variété de nouveaux exemples, présentés dans un ordre toujours différent.

    Distinguer le nom et le son des lettres

    La connaissance du nom conventionnel des lettres (‘a’, ‘bé’, ‘cé’, ‘dé’, ‘euh’, ‘èf’…) est un signe de précocité de l’enfant, qui prédit l’apprentissage de la lecture. Toutefois, cette connaissance peut gêner l’enfant quand il commence à apprendre à lire : en effet p suivi de i se lit ‘pi’ et non ‘péi’. C’est pourquoi, au cours des premières séances d’enseignement consacrées à l’apprentissage du code, il faut distinguer clairement le nom des lettres du son des lettres : le son que fait la lettre f dans un mot est ‘fff ’ et non ‘ef’.

  • Principe de transfert de l’explicite vers l’implicite

    Qu’est-ce que l’automatisation?

    Pour que l’enfant lise de façon efficace, il est indispensable que la lecture s’automatise : l’enfant ne doit plus avoir besoin de réfléchir à chaque lettre et à chaque son.

    Avec la pratique régulière de la lecture, l’enfant passe d’une lecture lente, consciente, avec effort, à une lecture fluide et rapide.

    Au début, l’enfant applique les correspondances graphèmes-phonèmes sous forme de règles explicites : il retient, dans sa mémoire explicite, que “qu” se prononce /k/, que “oi” se prononce /wa/, et c’est ainsi qu’il lit le mot “quoi”, avec beaucoup d’efforts et de lenteur. Par la suite, la rencontre quotidienne de nombreux exemples rend le décodage de plus en plus routinier et fondé sur des connaissances implicites.

    Le transfert de la mémoire explicite vers la mémoire implicite joue un rôle essentiel, car il libère l’esprit de l’enfant, qui peut mieux réfléchir au sens du texte.

    Le regard s’accélère

    Avec l’automatisation, l’enfant n’a plus besoin de regarder chacune des lettres, mais son regard se déplace avec agilité d’un mot à l’autre, en sautant les petits mots, car il reconnaît d’un seul coup tout un ensemble de lettres:

    debutant_expert

     Deux phases dans l’enseignement

    L’enseignement de la lecture doit donc prendre en compte deux étapes distinctes :

    • Une phase d’enseignement explicite, essentiellement la première année, où l’enfant apprend les règles de décodage des mots écrits, comme expliqué plus haut.
    • Une phase d’apprentissage implicite, qui s’étend sur plusieurs années, où l’enfant automatise ces règles. L’efficacité de cette phase dépend avant tout de la fréquence et de l’intensité des lectures. Les parents et les enseignants doivent donc entourer l’enfant d’un environnement propice : lectures quotidiennes, visites en bibliothèques, exercices oraux ou écrits, etc. La création systématique de mini-bibliothèques dans les classes serait une excellente chose, afin que même les plus jeunes enfants prennent l’habitude de lire au moins un petit livre par semaine.
  • Principe d’apprentissage actif associant lecture et écriture

    Apprendre à écrire facilite l’apprentissage de la lecture.

    De nombreuses recherches démontrent que la lecture s’améliore lorsque l’enfant apprend le tracé des lettres en les écrivant. L’écriture des lettres facilite la mémoire des correspondances graphèmes-phonèmes et aide à distinguer les lettres en miroir comme b et d.

    Avant même le CP, la préparation à la lecture peut inclure, avec bénéfice, des exercices tels que l’exploration active des lettres par le toucher, dans l’ordre exact qui servira ensuite à les écrire.

    Au CP, outre l’écriture, il est également bénéfique que les enfants apprennent à composer des mots à partir des lettres. Ils remarqueront au passage que les mêmes lettres, selon leur ordre, permettent de composer toutes sortes de mots.

    Des activités d’écriture à la main, et de composition de mots à l’aide de lettres mobiles, où l’enfant joue un rôle actif et créatif, devraient donc être pratiquées tous les jours, en association très étroite avec les activités de lecture.

    Attention aux erreurs d’orthographe !

    Il importe toutefois d’éviter que, via ces activités, l’enfant construise des mots mal orthographiés (par exemple, anfan), ce qui le conduirait à mémoriser implicitement une orthographe fausse (voir le Principe de choix rationnel des exemples et des exercices).

    C’est pourquoi les exercices de composition et de dictée doivent initialement s’appuyer sur des mots réguliers (table, chou, etc. – surtout pas femme ou automne !).L’enseignant doit également corriger les erreurs de régularisation phonologique (auto écrit oto) en expliquant l’existence d’une orthographe conventionnelle.

  • Principe de progression rationnelle

    Par où commencer l’apprentissage des correspondances graphème-phonème?

    L’analyse de la langue française montre que certains graphèmes doivent passer en tout premier, par leur fréquence ou leur régularité. Il ne s’agit pas forcément de lettres isolées : le groupe de lettres “ou”, par exemple, est l’un des plus faciles du français, car il se prononce toujours de la même manière: /ou/. A l’inverse, la lettre c a une prononciation tantôt dure (car), tantôt douce (cet), tantôt modifiée par une autre lettre (chat) : elle ne doit pas être abordée trop tôt, sous peine de semer la confusion dans l’esprit de l’enfant.

    Les paramètres linguistiques suivants influencent la difficulté de la lecture et déterminent ainsi une progression rationnelle d’apprentissage.

    Régularité des relations graphèmes-phonèmes

    Il faut enseigner les correspondances graphèmes-phonèmes en fonction de leur régularité statistique : les correspondances les plus régulières doivent être apprises en premier. Par exemple, la lettre r se prononce presque toujours ‘r’, tandis que la lettre s se prononce tantôt ‘ss’ et tantôt ‘z’ : la lettre t sera donc introduite avant la lettre s.

    Fréquence des graphèmes et des phonèmes

    Un second facteur est la fréquence d’usage : les graphèmes les plus fréquents, ceux qui permettent de lire le plus grand nombre de mots, seront introduits en premier.

    En français, les lettres les plus fréquentes sont: E, S, A, N, T, I, R, U, L, O, C. L’enfant qui maîtrise ces lettres et leurs combinaison saura lire de très nombreux mots.

    Un exemple de progression rationnelle: les 42 premières leçons du manuel “Je lis j’écris”, qui d’après une enquête récente, obtient les meilleurs résultats chez les enfants défavorisés.

    ProgressionJeLisJecris

    Facilité de prononciation des consonnes isolées

    Pour faciliter la compréhension de la règle fondamentale de l’alphabet (chaque lettre ou suite de lettres correspond à un phonème), nous proposons d’introduire en premier les consonnes « continues » qui peuvent pratiquement se prononcer seules, en l’absence de voyelle. En français, il s’agit :

    • des consonnes liquides comme ‘l’ ou ‘r’ ;
    • des nasales comme ‘m’ ou ‘n’ ;
    • des fricatives comme ‘f ’, ‘v’, ‘j’, ‘ch’, ‘z’ et ‘s’.

    Il est en effet facile d’expliquer à un enfant que f suivie de a se lit /fa/ : en articulant très lentement, on entend littéralement le son ‘fff ’ suivi du ‘a’.

    Les consonnes continues seront introduites avant les consonnes occlusives comme ‘p’, ‘t’, ‘k’, ‘b’, ‘d’, ou ‘g’, car l’enfant a plus de difficultés à comprendre que p suivie de i se lit ‘pi’ (surtout pas ‘péi’ !).

    Complexité de la structure syllabique

    Il est difficile pour l’enfant de lire les syllabes qui comportent des groupes de consonnes consécutives, comme les groupes “str” et “ct” du mot “strict”. C’est pourquoi, au cours de l’apprentissage de la lecture, on travaillera d’abord les structures consonne-voyelle (CV) et voyelle-consonne (VC), qui sont les plus simples. Les structures consonne-voyelle-consonne (CVC) viendront ensuite, et enfin celles qui comprennent des blocs de consonnes (CCV, CCCV, etc.).

    Inséparabilité des graphèmes complexes

    Certains phonèmes s’écrivent à l’aide de graphèmes dits complexes, car ils sont composés de plusieurs lettres (par exemple ou, an, au, eau, ch, qu, etc.). Certains sont très fréquents: ils doivent être introduits relativement tôt dans la progression, en particulier ceux qui sont les seuls permettant de transcrire un phonème (ou, ch, an, on, un, etc.).

    L’enfant doit comprendre que les graphèmes sont des unités purement conventionnelles qui se lisent comme un tout et qui échappent aux règles normales de l’assemblage. b + a fait ‘ba’, mais a + n fait ‘an’ et non pas ‘ane’. Pour faciliter la mémorisation de ce qui peut apparaître à l’enfant comme une contradiction, on peut présenter ces graphèmes sous la forme d’une seule entité inséparable : on les imprime sur un même carton, ou on les écrit d’une même couleur.

    En résumé, on gagnera à expliquer à l’enfant que MOUTON = M + OU + T + ON

    Lettres muettes

    La présence de lettres muettes (par exemple le e de « fée ») est l’une des difficultés particulières et fréquentes du français, qu’il faut donc enseigner précocement. Certaines d’entre elles – mais hélas pas toutes – donnent des indications précieuses sur la morphologie des mots, que l’on peut et doit enseigner à l’enfant. Ainsi, le e de « amie » indique le féminin… mais hélas pas celui de « lycée ». De même le s de « amis » signale un pluriel, mais pas celui du mot « mais ».

    Pour mieux faire comprendre à l’enfant que ces lettres ne sont pas prononcées, on peut les imprimer dans une couleur ou une police particulière (par exemple en gris clair ou en lettres blanches avec de fins contours noirs).

    Fréquence des mots

    Ne soyons pas des extrémistes du ‘b-a : ba’ ! Pour que l’enfant puisse lire rapidement de petits textes qui ont un sens, enseignons-lui sans tarder quelques mots de haute fréquence, même s’ils ne sont pas réguliers. Nous suggérons d’introduire assez vite :

    • les articles (les, des, aux…)
    • les pronoms (nous, ils, mes, tes…)
    • les auxiliaires (suis, es, est, as, eu comme dans “j’ai eu”)
    • quelques mots grammaticaux (à, vers, dans, sans, avec, quand, alors, après, avant, mais…).

    Ces mots outils, tout comme un petit nombre de mots irréguliers mais très fréquents (six, dix, sept, deuxième, automne, femme, compte, œuf, un fils…) peuvent être appris par cœur au cours de la première année de lecture.

    Rôle des morphèmes

    L’accès au sens s’appuie beaucoup sur la décomposition en morphèmes (orthophonistes = ortho + phon + iste + s). Au delà du CP, une fois maîtrisé le décodage graphème-phonème, on peut enseigner explicitement aux enfants les morphèmes et leur combinatoire, en prenant à nouveau en compte leur fréquence et leur régularité statistique. Beaucoup de maîtres enseignent les terminaisons grammaticales des verbes et des noms, mais trop rarement pour les préfixes, les suffixes et les racines. L’étymologie du français est pourtant passionnante et instructive !

    (Ce texte est adapté du chapitre “Les grands principes de l’enseignement de la lecture” de l’ouvrage Apprendre à lire : Des sciences cognitives à la salle de classe, dirigé par Stanislas Dehaene et publié aux éditions Odile Jacob.)