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La Science des rêves

Ce texte de Rebecca M.C.Spencer, publié dans Frontiers for young minds, en décembre 2019, a été traduit de l’anglais par S.Desmidt, Marie Palu et G. Dehaene-Lambertz.

Résumé
Les rêves sont une expérience courante. Certains sont effrayants, d’autres sont drôles. Des recherches récentes sur le fonctionnement du cerveau nous aident à comprendre pourquoi nous rêvons. D’étranges combinaisons d’idées dans nos rêves peuvent nous rendre plus créatifs et nous donner des idées qui nous aident à résoudre des problèmes. Ou bien, lorsque les souvenirs de la journée se répètent dans le cerveau pendant le sommeil, les souvenirs peuvent devenir plus forts. Les rêves peuvent également améliorer notre humeur. Ensemble, ces études montrent que les rêves et le sommeil sont importants pour bien fonctionner lorsque nous sommes éveillés.

Quand elle avait 8 ans, ma fille m’a raconté un de ses rêves. Elle était dans un vaisseau spatial avec des animaux. Elle savait qu’elle était dans un vaisseau spatial dans son rêve, mais en me le racontant, elle a réalisé que le vaisseau spatial était en fait une machine à laver. Parfois, elle et les animaux étaient dans l’espace, mais ils revenaient aussi sur terre. Elle m’a raconté le rêve en riant, puis elle a continué sa journée, en ignorant les animaux et les vaisseaux spatiaux qui l’amusaient dans son sommeil.

Puisque nous nous souvenons de nos rêves et que nous les oublions souvent, quel est leur but ? Pourquoi rêvons-nous des choses que nous faisons ? De nouveaux outils de recherche, en particulier ceux qui peuvent être utilisés pour étudier le cerveau, sont exploités pour répondre à ces questions.


QUE SONT LES RÊVES ?

Bien qu’il soit difficile de définir ce qu’est un rêve, pour les besoins de cet article, nous définirons les rêves comme nos pensées pendant le sommeil dont nous nous souvenons au réveil. Ainsi, les rêves pendant le sommeil ne sont pas la même chose que les “rêveries”. Les rêves sont principalement visuels (composés de scènes et de visages ; le son, le goût et l’odeur sont rares dans les rêves [1]). Les rêves peuvent varier de vraiment étranges à plutôt ennuyeux. Ce sont des clichés d’un événement récent.

Pour étudier les rêves, les scientifiques ont besoin d’une mesure du rêve. La plupart des études utilisent des rapports sur les rêves (une personne écrit ses rêves lorsqu’elle se réveille) ou des questionnaires (une personne répond à des questions comme “De combien de rêves vous souvenez-vous au cours du dernier mois ? [2]). Les rêves sont plus susceptibles d’être rappelés lorsqu’une personne est réveillée d’un sommeil paradoxal. Le sommeil paradoxal est un type de sommeil nommé d’après les mouvements oculaires rapides (REM) qui peuvent être mesurés pendant ce stade du sommeil. Nous ne rêvons pas autant dans le sommeil non REM, les stades du sommeil qui composent le reste de la nuit, et les rapports de rêves du sommeil non REM sont souvent moins étranges.

La fréquence des rêves (à quelle fréquence les rêves se produisent) et leur contenu (sur quoi portent les rêves) sont très différents pour chacun, et il existe de nombreuses raisons pour lesquelles cela peut être vrai. Par exemple, vous vous souviendrez davantage des rêves si vous êtes réveillé par quelqu’un ou par un réveil. Cela peut s’expliquer par le fait que vous pouvez encore vous rappeler de ce souvenir de rêve lorsqu’il est encore frais, mais si vous vous réveillez seul, vous passerez par quelques stades de sommeil et vous perdrez peut-être ce souvenir. Le souvenir des rêves change aussi avec l’âge. Les personnes âgées sont moins susceptibles de déclarer avoir rêvé. Cela pourrait également être lié à la mémoire : les personnes âgées ayant une mémoire plus faible, il se peut qu’elles rêvent mais ne puissent pas se souvenir de leurs rêves au moment de leur réveil. Une zone du cerveau appelée cortex préfrontal médian est également liée au rappel des rêves. Si cette zone du cerveau est endommagée, la personne se souvient de peu de rêves, ce qui peut signifier qu’elle rêve moins (ou pas du tout). De même, la manière dont les cellules cérébrales sont agencées de façon plus ou moins serrée dans le cortex préfrontal médian peut varier d’une personne à l’autre, ce qui peut amener certaines personnes en bonne santé à rêver plus ou moins que d’autres. Il existe également des gènes qui influent sur la quantité de sommeil paradoxal que les gens ont. Les personnes qui ont moins de sommeil paradoxal peuvent ne pas faire les rêves étranges qui ont tendance à se produire dans ce stade de sommeil. Ainsi, la durée de votre sommeil, votre âge et vos gènes peuvent tous expliquer pourquoi vous rêvez davantage ou moins que quelqu’un d’autre.

Les rêves se produisent-ils réellement pendant le sommeil, ou s’agit-il d’idées qui nous viennent au réveil et que nous “sentons” simplement comme si cela s’était passé pendant le sommeil ? Une étude récente utilisant un type d’imagerie cérébrale appelé imagerie par résonance magnétique (IRM: pour en savoir plus, lisez l’article de Young Minds “Comment l’imagerie par résonance magnétique est-elle utilisée pour en savoir plus sur le cerveau ? [3]) a permis de répondre à cette question (figure 1A). Les scientifiques ont établi des cartes de l’activité cérébrale se produisant lorsque les gens regardent des images d’objets, lits, avions. Plus tard, les personnes de l’étude ont dormi dans l’appareil d’IRM. Les scientifiques ont fait correspondre le schéma de l’activité cérébrale des personnes pendant leur sommeil aux schémas d’activité cérébrale des images qu’ils avaient vues plus tôt, puis ont choisi la meilleure correspondance (figures 1B, C). Cette correspondance permettait de prédire ce que la personne disait avoir rêvé dans 60 % des cas. Bien que 60% ne soit pas parfait, c’est mieux que de deviner ! [4]. Cela signifie que les rêves sont créés dans le cerveau pendant le sommeil.

Figure 1 – (A) L’imagerie par résonance magnétique (IRM) est un moyen d’étudier le cerveau. La personne est allongée sur un lit à l’intérieur d’un aimant géant. (B) L’IRM permet de visualiser la structure du cerveau et les zones du cerveau qui sont actives. (C) L’IRM a été utilisée pour mesurer le rêve. Tout d’abord, alors que le participant était éveillé, il a vu des milliers d’images dans l’IRM. Cela permettait aux scientifiques de connaître les réactions spécifiques du cerveau à certaines images. Plus tard, lorsque le participant dormait dans l’IRM, les scientifiques ont mesuré les schémas d’activité cérébrale et les ont comparés aux réponses du cerveau aux images que le participant avait vues lorsqu’il était éveillé. Les scientifiques ont deviné que la meilleure correspondance leur permettrait de savoir à quoi le participant rêvait. En interrogeant le participant sur ses rêves à l’IRM, les scientifiques ont découvert que les rêves avaient tendance à correspondre aux images prédites par l’activité cérébrale




LES RÊVES RENFORCENT LES SOUVENIRS

Quel est le but de nos rêves ? Les chercheurs ont découvert que le sommeil est important pour la mémoire (voir cet article de Frontiers for Young Minds ; “Merci pour les souvenirs…” [5]).Les souvenirs passent d’un stockage temporaire dans l’hippocampe, une structure cérébrale très importante pour la mémoire à court terme, à un stockage permanent dans d’autres parties du cerveau. Les souvenirs sont ainsi plus faciles à mémoriser plus tard. Les souvenirs s’améliorent avec le sommeil car ils sont rejoués pendant le sommeil [6]. Si vous voulez apprendre tous les mots de votre scène préférée dans un film, vous pouvez revoir cette scène encore et encore. Le cerveau fonctionne de la même manière : les neurones (cellules cérébrales) qui sont actifs pour l’apprentissage sont à nouveau actifs et rejouent le matériel appris pendant le sommeil. Cela permet de stocker la mémoire de façon plus permanente.

La répétition de la mémoire peut apparaître dans nos rêves. Les rêves en sommeil non-REM, où la plupart des rediffusions se produisent, contiennent souvent des personnes et des objets normaux provenant d’événements récents. Cependant, le sommeil passe du sommeil non REM au sommeil REM (voir figure 2). Ainsi, les rêves bizarres en sommeil paradoxal peuvent provenir d’une combinaison de nombreux souvenirs récents, qui ont été rejoués en sommeil non paradoxal, et s’emmêlent pendant le sommeil paradoxal. Si les rêves aident au traitement de la mémoire, cela signifie-t-il que vos souvenirs ne sont pas traités si vous ne rêvez pas ? Non. Les souvenirs sont stockés même si nous ne rêvons pas.


Figure 2 – Il existe quatre types de sommeil – le sommeil REM (1ère ligne en violet) et trois stades de sommeil non REM (les 3 lignes suivantes, en bleu). REM (Sommeil paradoxal) signifie mouvements oculaires rapides, qui se produisent pendant ce stade du sommeil. Pendant le sommeil paradoxal, l’activité musculaire et cérébrale diffère également des autres stades du sommeil. Les caractéristiques des rêves ont tendance à être différentes pour chacun de ces stades de sommeil.


LES RÊVES AMÉLIORENT LA CRÉATIVITÉ ET LA RÉSOLUTION DES PROBLÈMES

Le rêve de ma fille d’un vaisseau spatial a donné une grande histoire qu’elle m’a récitée, et plus tard, à ses camarades de classe. Les images étaient intenses et intéressantes, ce qui l’a inspirée à dessiner des scènes dans un cahier et à écrire sur ce rêve pour l’école. C’est un exemple de la façon dont les rêves peuvent nous aider à être plus créatifs. Mary Shelley, l’auteur du livre Frankenstein, a eu l’idée de son livre à partir d’un rêve. Même les scientifiques tirent des idées des rêves [7].

Pour mesurer la créativité en matière de résolution de problèmes, les scientifiques ont utilisé une tâche d’association à distance, dans laquelle trois mots sans rapport sont montrés, et la personne doit trouver un mot qu’ils ont en commun. Par exemple, EPOQUE, BÊTE et VIE semblent sans rapport jusqu’à ce que vous réalisiez qu’ils sont tous liés à BELLE, (la période historique “la belle époque“, le conte ou le film “la belle et la bête” et dans l’expression “avoir la belle vie !” (cf figure 3). Les scientifiques voulaient savoir si le sommeil aidait les gens à mieux s’acquitter de cette tâche. Ils ont constaté que les gens pensaient mieux à la solution à distance s’ils faisaient une sieste, en particulier une sieste avec sommeil paradoxal. Étant donné que le sommeil paradoxal est le moment où les rêves les plus étranges se produisent, cela confirme l’idée que ces rêves pourraient nous aider à trouver des solutions créatives aux problèmes [8].


Figure 3 – Le sommeil paradoxal aide les gens à trouver des solutions créatives.
Le matin, les participants ont effectué deux tâches pour tester la créativité et la résolution de problèmes (A). Ils ont fait de nouveau une tâche l’après-midi. Entre les deux, certains sont restés éveillés (groupe “réveil”) et d’autres ont fait une sieste. Ceux qui faisaient une sieste n’avaient pas de sommeil paradoxal dans leur sieste (groupe “nREM”) ou avaient à la fois du sommeil non paradoxal et du sommeil paradoxal (groupe “nREM + REM”). (B) Si les sujets sont restés éveillés entre les tests du matin et de l’après-midi (barre jaune), ils n’ont pas amélioré la tâche. Ils ne se sont pas non plus améliorés s’ils ont fait une sieste qui n’était que du sommeil nREM (barre bleu clair). Mais, s’ils ont fait une sieste à la fois en sommeil nREM et en sommeil paradoxal, ils ont mieux réussi l’après-midi que lorsqu’ils ont effectué la tâche le matin (barre bleu foncé). Ainsi, le sommeil paradoxal doit nous aider à trouver des solutions créatives (de Cai et al. [8]).


Cette étude et ces recherches nous donnent des raisons de croire que les rêves de REM peuvent nous aider à être plus créatifs et à résoudre des problèmes. De nombreux souvenirs différents peuvent être activés en même temps et lorsque ces souvenirs sont mélangés, le résultat au réveil peut être à la fois le souvenir d’un rêve étrange et une perspective unique sur les problèmes.


LES RÊVES RÉGULENT NOS HUMEURS ET NOS ÉMOTIONS

Les rêves sont généralement émotionnels. Une étude a montré que la plupart des rêves sont effrayants, plein de colère? ou tristes.

Les rêves peuvent sembler émotionnels simplement parce que nous avons tendance à mieux nous souvenir de moments chargés sur le plan émotionnel que de mots non chargés émotionnellement. Par exemple, dans la vie éveillée, le jour où vous avez eu un chiot est plus mémorable qu’une journée d’école normale. Ainsi, les rêves concernant des événements émotionnels peuvent être plus facilement mémorisés que les rêves ennuyeux et non émotionnels. Il est également possible que les rêves soient émotionnels car un des rôles des rêves est de nous aider à traiter les émotions de notre journée [9]. C’est peut-être la raison pour laquelle l’amygdale, une zone du cerveau qui réagit aux émotions lorsque nous sommes éveillés, est active pendant le sommeil paradoxal. Si vous avez eu une journée triste, vous êtes plus susceptible de faire des rêves tristes. Mais le sommeil améliore également l’humeur – le sommeil après un désaccord ou un événement triste vous rendra plus heureux.

Les rêves pourraient également nous aider à nous préparer à des événements émotionnels, grâce à ce que l’on appelle la théorie de la simulation des menaces [10]. Par exemple, lorsque j’ai rêvé que ma jeune fille, qui ne savait pas nager, tombait dans une piscine, le souvenir de ce rêve m’a convaincu de l’inscrire à des cours de natation. En simulant cette situation effrayante, j’ai pu l’éviter en étant préparé.


CONCLUSIONS

Ces études nous montrent que le sommeil et les rêves sont importants pour nos émotions. En traitant nos émotions pendant le sommeil, nous pouvons être mieux préparés et de meilleure humeur le lendemain.
Les scientifiques mesurent les rêves de différentes manières, depuis les questionnaires jusqu’à l’utilisation de l’IRM. Ces études nous montrent que l’activité du cerveau pendant le sommeil nous donne les rêves intéressants dont nous nous souvenons au réveil. Ces rêves nous aident à nous souvenir de certaines choses, à être plus créatifs et à traiter nos émotions.

Nous savons que la plupart des enfants ne dorment pas assez. Certaines maladies (comme la maladie d’Alzheimer) font également que les gens dorment moins, tandis que d’autres (comme le trouble du comportement du sommeil paradoxal et les troubles de l’humeur) affectent directement les rêves. Il est important d’étudier le sommeil et les rêves pour comprendre ce qui se passe lorsque nous ne dormons pas assez et comment nous pouvons traiter les personnes atteintes de ces maladies.


Glossaire

Mouvements oculaires rapides (REM) : Un stade du sommeil dans lequel les yeux bougent rapidement et où il n’y a pas d’activité musculaire.

Cortex préfrontal médian : Une zone spécifique à l’avant du cerveau qui est associée au rappel des rêves mais qui joue également un rôle dans la mémoire et la prise de décision.

Imagerie par résonance magnétique (IRM) : Un outil utilisé pour prendre des photos des parties internes du corps (y compris le cerveau). L’IRM peut également être utilisée pour mesurer l’activité cérébrale.

Hippocampe : Une zone du cerveau que l’on pense être importante pour la mémoire à court terme.

Neurone : Cellule du système nerveux (cerveau et moelle épinière) qui peut transmettre des informations à d’autres cellules.

Amygdale : Une zone du cerveau impliquée dans l’expérience des émotions.

Théorie de la simulation des menaces : Une théorie du rêve qui dit que les menaces (les choses qui pourraient être mauvaises) sont simulées ou pratiquées dans vos rêves pour vous préparer à ces situations lorsque vous êtes éveillés.


Références

1.  Zandra, A. L., Nielsen, T. A., and Donderi, D. C. 1998. Prevalence of auditory, olfactory, and gustatory experiences in home dreams. Percept. Mot. Skills 87:819–26.

2.  Schredl, M. 2002. Questionnaires and diaries as research instruments in dream research: methodological issues. Dreaming 12:17–26. doi: 10.1023/A:1013890421674

3.  Hoyos, P., Kim, N., and Kastner, S. 2019. How Is Magnetic Resonance Imaging Used to Learn About the Brain? Front. Young Minds. 7:86. doi: 10.3389/frym.2019.00086

4.  Horikawa, T., Tamaki, M., Miyawaki, Y., and Kamitani, T. 2013. Neural decoding of visual imagery during sleep. Science 340:639–42. doi: 10.1126/science.1234330

5.  Davachi, L., and Shohamy, D. 2014. Thanks for the Memories.… Front. Young Minds. 2:23. doi: 10.3389/frym.2014.00023

6.  O’Neill, J., Senior, T. J., Allen, K., Huxter, J. R., and Csicsvari, J. 2008. Reactivation of experience-dependent cell assembly patterns in the hippocampus. Nat. Neurosci. 11:209–15. doi: 10.1038/nn2037

7.  Barrett, D. 2001. The Committee of Sleep: How artists, scientists, and athletes use dreams for creative problem-solving–and How You Can Too. New York, NY: Crown.

8.  Cai, D. J., Mednick, S. A., Harrison, E. M., Kanady, J. C., and Mednick, S. C. 2009. REM, not incubation, improves creativity by priming associative networks. Proc. Natl. Acad. Sci. U.S.A. 106:10130–4. doi: 10.1073/pnas.0900271106

9.  Cremone, A., Kurdziel, L. B. F., Fraticelli, A., McDermott, J., and Spencer, R. M. C. 2017. Napping reduces emotional attention bias during early childhood. Dev. Sci. 20:e12411. doi: 10.1111/desc.12411

10.  Revonsuo, A. 2000. The reinterpretation of dreams: an evolutionary hypothesis of the function of dreaming. Behav. Brain Sci. 23:877–901. doi: 10.1017/s0140525x00004015


Citation

Spencer R (2019) The Science of Dreams. Front. Young Minds. 7:140. doi: 10.3389/frym.2019.00140