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L’écran peut être un outil phénoménal pour apprendre, à condition d’accompagner vos enfants dans sa découverte!

Les écrans télévisés et les smartphones sont omniprésents dans l’environnement des enfants aujourd’hui. Dans les médias, nous entendons de nombreux arguments catastrophistes sur le devenir des enfants qui sont très exposés aux écrans. Mais qu’en est-il réellement de ces associations entre le développement du langage des enfants et la quantité et le contexte de la consommation d’écrans (télévision, ordinateur, tablette, smartphone…) ?

Que dit la littérature?

Il existe un rapport extrêmement bien documenté du Haut Conseil de la Santé Publique (HCSP) présentant l’analyse des données scientifiques sur les effets de l’exposition des enfants et des jeunes aux écrans.

Plusieurs études ont mis en avant qu’un enfant exposé longuement aux écrans (> à 2 heures par jour), et restant seul face à l’écran, équivaut à laisser un enfant seul dans un coin de pièce longtemps sans interagir avec lui, ou à laisser un enfant non lecteur face à un livre sans l’accompagner dans la lecture (Madigan et al (2019), HSCP, Gassama et al).

La surexposition peut aussi entraîner la sédentarité et le surpoids chez l’enfant (augmentation de l’IMC….) deux fléaux de nos sociétés ( Tremblay et al, 2011 ; Carson et al., 2016 ; Okely et al., 2012 ; Vandewater et al 2006 ;). Les effets sur l’alimentation sont à mettre en relation avec le fait de manger déséquilibré et calorique devant la télévision et avec le manque d’activités. L‘impact sur le sommeil est également documenté (Calamaro et al, 2012 ; Carte et al 2016; Hale et Guan, 2015 ; Thomée, 2018). Cet impact peut s’expliquer par différents facteurs comme le taux de luminosité et son effet sur la sécrétion de mélatonine et le retardement de l’endormissement ; l’excitation due aux contenus et aux interactions sociales.

Nombreuses sont les études qui montrent que par-delà l’écran, c’est le manque d’interactions entre les adultes et les enfants qui affectent le plus le développement du langage de ces enfants (Aishworiya et al, 2019 ;Duch et al, 2013, Madigan et al, 2020 ; Madigan et al, 2019 (Association television…), Mc Kean et al, 2015 ; Mendelshon et al 2008 ; Zimmerman et al, 2009).

Par ailleurs, certaines études montrent que les enfants issus de milieux qui ne parlent pas correctement la langue du pays dans lequel ils vivent, peuvent bénéficier des écrans. L’exposition aux écrans bénéficierait plus aux enfants issus de l’immigration, dont les parents ne parlent pas bien la langue locale, car ils seraient exposés à la grammaire et au vocabulaire de cette langue via les émissions qu’ils regardent et la langue qu’ils entendent . C’est le seul bénéfice trouvé à une exposition sans l’interaction avec les parents (cf chapitre dédié dans le MOOCLa petite culture du numérique : le développement du tout petit à l’ère du numérique“).

Les résultats de la cohorte française EDEN

Dans un travail de recherche sur la cohorte française EDEN, publié récemment dans la revue Scientific reports (Martinot et al, 2021), qui suit 1562 enfants depuis leur naissance en 2004, ces associations ont été analysées aux âges de 2, 3 et 5-6 ans, tout en prenant en compte les nombreux éléments qui constituent l’environnement de vie d’un enfant (les caractéristiques de sa famille, sa fratrie, les interactions entre adultes et enfants, les jeux, la nutrition, le sommeil, et plus encore).

Etonnamment, les scores linguistiques les plus faibles étaient chez les enfants regardant <30min ou >2h de télévision par jour, aux âges de 2, 3 et 5-6 ans. MAis surtout, la télévision allumée en permanence dans la maison (par opposition à jamais) était associée à un plus faible score de développement du langage à 2 ans, à 3 ans et à 5-6 ans. Ces résultats vont dans le sens des études indiquant que tout élément nuisant à la qualité de l’interaction entre un adulte et un enfant (comme une télévision allumée en fond pendant un repas familial), sera associé à un moins bon développement du langage de l’enfant.

Les adultes doivent aussi réfléchir à leur consommation des écrans.

Passer son temps sur son téléphone plutôt que de jouer et d’échanger avec son enfant, diminue bien évidemment les occasions d’apprentissage de l’enfant

Mais aussi, interrompre l’échange pour répondre à un coup de téléphone est mauvais: Les enfants retiennent moins de nouveaux mots d’un échange interrompu que d’un échange qui a été à son terme, même si l’échange interrompu reprend ensuite.

Recommandations

Accompagnement des parents

Concernant le langage, étonnement, ce n’est pas la durée d’exposition devant un écran qui compte, mais l’intensité et la qualité des accompagnements qu’un adulte développe avec l’enfant, pendant et après qu’il ait visionné l’écran:

Qu’as tu appris ? raconte moi l’histoire que tu as vue” .

Encouragez votre enfant à vous raconter ce qu’il a compris, ce qu’il trouve drôle, ce qu’il trouve triste, Faites pratiquer les nouveaux mots de vocabulaire entendu par l’enfant via l’écran.

En ce qui concerne la durée d’exposition, selon la littérature, on remarque que ce sont les extrêmes qui parlent le moins bien : ceux qui regardent l’écran plus de 2h par jour (cf références plus haut), mais aussi, ceux qui ne regardent pas du tout d’écran et jouent seuls (sans adulte qui interagit avec eux). 

Distinction utilisation passive ou interactive

Il y a une distinction importante à faire sur l’usage des écrans. L’utilisation passive des écrans que ce soit la télévision, l’ordinateur ou la tablette, et l’usage interactif des écrans (via ordinateur ou tablette…)

En ce qui concerne l‘utilisation passive des écrans , en particulier de la télévision, il y de nombreuses années de recul aujourd’hui pour connaître un certain nombre de conséquences sur le plan langagier, des apprentissages, de l’attention, du sommeil, de l’alimentation (cf rapport du HCSP et une revue de la littérature en français par nos collègues du babylab de Nanterre, Rana Esseily et Bahia Guellai) Ce n’est pas forcément l’écran en soi le soucis mais ce qu’on ne fait pas si on regarde passivement un écran : pas d’interactions sociale, pas d’activité physique…

L’usage interactif des écrans mérite d’être davantage étudié avec des études contrôles randomisées et longitudinales avant de pouvoir donner des conclusions. Nous manquons encore de recul afin d’identifier précisément les conséquences positives ou négatives dans les différents domaines.

LES 3 C (CONTENU – CONTENANT – CONTEXTE)

Encore une fois ce n’est pas l’écran en soi qui compte mais quel est le contenu visionné, sur quel contenant et dans quel contexte (cf aussi Chapitre 3 du MOOC plus bas)?

En fonction du contenu des programmes proposés aux enfants, l’impact sur le langage ou les apprentissages n’est pas le même. Par exemple, un gain de vocabulaire a été montré avec des programmes comme “Dora l’exploratrice” alors que les enfants regardant “Teletubbies” auront des mots de vocabulaire en moins. Par ailleurs, chez les enfants de 5 à 18 ans, lorsqu’internet est utilisé à des fins scolaires, il y a une corrélation significative positive avec les résultats scolaires (métaanalyse de Adelantado-Renau et al., 2019).

Il existe également une certaine influence du rythme et des caractéristiques formelles (montage, nombre de scènes, vitesse) (Lillard, Peterson, 2011).

Le contenant (télévision VS ordinateur, tablette, console ou smartphone) est également un aspect important à prendre en compte car la télévision ne pourra prodiguer qu’un usage passif alors que les autres supports peuvent permettre un usage interactif (et donc potentiellement ludique, social ou pédagogique). Certains programmes ont été conçus pour obtenir un effet pédagogique. Cet effet doit bien sûr être mesuré avant de croire sur parole le développeur du logiciel!

Enfin, le contexte de visionnage des écrans est un point fondamental. Est-ce que la télévision est allumée en arrière plan ? pendant les repas ? L’enfant a-t-il accès aux écrans dans sa chambre ? Y’a-t-il une présence parentale afin d’accompagner l’enfant dans la découverte de l’écran ? (cf résultats cohorte EDEN et impact présence TV dans la chambre sur le sommeil).

Pour un usage raisonné

Chez le tout petit, avant 3 ans, les interactions sociales et verbales et la découverte sensorimotrice de son environnement doivent être au cœur des activités quotidiennes. L’usage des écrans peut se faire de façon très ponctuelle dans une utilisation interactive et toujours accompagnée (une visio avec les grands parents et échanger avec eux ; quelques jolies photos ou très courtes vidéos d’animaux que l’on va commenter avec son enfant ; une lecture interactive d’un album jeunesse…).

Plus tard, l’important est que cette utilisation soit accompagnée, raisonnée et dans une certaine mesure contrôlée par les parents.

Différentes recommandations existent (en voici certains exemples):

3/6/9/12 de Serge Tisseron ;

les 3C (cf plus haut);

règle des 4 PAS de Sabine Duflo.


Pour résumer:
Le choix du contenu et la discussion autour du contenu sont primordiaux.
II est évidemment important de limiter le temps passé devant les écrans et privilégier d’autres activités.
Il peut être très utile de définir des zones et des moments SANS écran (chambre, repas, au coucher, …). Les parents doivent aussi ne pas consulter leurs écrans (smartphone) pendant les moments d’échange

Il peut être intéressant de mettre en place des règles familiales d’usage définissant:

En Suède, il existe un site pour les parents qui les aident à évaluer la connaissance qu’ils ont de l’utilisation des écrans par leurs enfants et si celle ci est bien “raisonnée et accompagnée”:
– est-ce qu’ils connaissent la fréquence d’utilisation des écrans par leur enfant?
– est ce qu’ils connaissent le contenu ?
– est ce qu’ils discutent du contenu avec leur enfant?

Si la réponse est OUI aux trois questions, l’utilisation semble raisonnée et “maîtrisée ;-). En effet, il est aussi important de ne pas “diaboliser” les écrans.

Ressources pour aller plus loin

Livres

Comment utiliser les écrans en famille?
Elena PASQUINELLI

MOOC

L’ensemble de ces éléments sont également mis en avant par les nombreux chercheurs qui ont participé au MOOC sur le numérique et la petite enfance, développé par les chercheurs des Premiers CRIs, et intitulé:

La petite culture numérique : le développement du tout-petit à l’ère numérique

Dans une démarche interdisciplinaire, le MOOC “La petite culture numérique : le développement du tout-petit à l’ère numérique” réunit de nombreux acteurs et actrices de la petite enfance (chercheur·e·s, professionnel·le·s de petite enfance, designers, acteurs et actrices politiques, etc.). En cinq épisodes, ce MOOC questionne la relation du jeune enfant à la culture numérique et encourage l’éveil de l’esprit critique de chacun·e autour d’un sujet encore en pleine exploration. Plus qu’un simple partage de connaissances, il s’agit de créer avec tou·te·s les participant·e·s une communauté apprenante de la petite enfance au XXIème siècle.

Les webinaires sont toujours disponibles sur la chaîne Youtube des “Premiers cris”.

Voici également une bibliographie issue du MOOC.

Score HOME

Heureusement pour nous tous, les Canadiens ont rassemblé les éléments que vous pouvez mettre en place avec vos enfants à la maison pour encourager et stimuler le développement de leur langage. C’est le score HOME et il comprend 32 idées de stimulants, dont notamment prendre le temps de lire avec son enfant, lui chanter des chansons, l’encourager à apprendre des comptines, l’encourager à raconter sa journée, jouer avec lui à des jeux qui stimulent son éveil et sa curiosité.

Voici les éléments du Score HOME

  1. Stimuler à travers les jeux, les jouets, et les matériels de lecture

2. Stimuler le langage de l’enfant

3. Développer l’amour, l’affection, la chaleur

4. Stimuler pour les apprentissages académiques

5. Encourager à une maturité sociale

6. Variété dans les stimulations

Réferences

Adelantado-Renau, M., Moliner-Urdiales, D., Cavero-Redondo, I., Beltran-Valls, M.R., Martínez-Vizcaíno, V., and Álvarez-Bueno, C. (2019). Association Between Screen Media Use and Academic Performance Among Children and Adolescents: A Systematic Review and Meta-analysis. JAMA Pediatr.

Aishworiya, R., Cai, S., Chen, H. Y., Phua, D. Y., Broekman, B. F., Daniel, L. M., … & Law, E. C. (2019). Television viewing and child cognition in a longitudinal birth cohort in Singapore: the role of maternal factors. BMC pediatrics19(1), 286.

Calamaro, C. J., Yang, K., Ratcliffe, S., & Chasens, E. R. (2012). Wired at a young age: the effect of caffeine and technology on sleep duration and body mass index in school-aged children. Journal of Pediatric Health Care26(4), 276-282.

Carter, B., Rees, P., Hale, L., Bhattacharjee, D., & Paradkar, M. S. (2016). Association between portable screen-based media device access or use and sleep outcomes: a systematic review and meta-analysis. JAMA pediatrics170(12), 1202-1208.

Duch H, Fisher EM, Ensari I, et al. Association of screen time use and language development in Hispanic toddlers: a cross-sectional and longitudinal study. Clin Pediatr (Phila). 2013;52(9):857-865. doi:10.1177/0009922813492881

Gassama M, Bernard J, Dargent-Molina P, Charles M-A. Activités physiques et usage des écrans à l’âge de 2 ans chez les enfants de la cohorte Elfe. 2018:24.

Hale, Lauren, and Stanford Guan. “Screen time and sleep among school-aged children and adolescents: a systematic literature review.” Sleep medicine reviews 21 (2015): 50-58.

HCSP, Haut Conseil de Santé Publique. Effets de l’exposition Des Enfants et Des Jeunes Aux Écrans.; 2019. https://www.hcsp.fr/Explore.cgi/avisrapportsdomaine?clefr=759. Accessed March 17, 2020.

Lillard, A. S. ; Peterson, J. 2011. « The immediate impact of different types of television on young children’s executive function », Pediatrics, 128(4),p. 644-649.

Madigan, S., Browne, D., Racine, N., Mori, C., & Tough, S. (2019). Association between screen time and children’s performance on a developmental screening test. JAMA pediatrics173(3), 244-250.

Madigan S, McArthur BA, Anhorn C, Eirich R, Christakis DA. Associations Between Screen Use and Child Language Skills: A Systematic Review and Meta-analysis. JAMA Pediatr. March 2020.doi:10.1001/jamapediatrics.2020.0327

Madigan S, Racine N, Tough S. Prevalence of Preschoolers Meeting vs Exceeding Screen Time Guidelines. JAMA Pediatr. November 2019. doi:10.1001/jamapediatrics.2019.4495-

McKean C, Mensah FK, Eadie P, et al. Levers for Language Growth: Characteristics and Predictors of Language Trajectories between 4 and 7 Years. PLoS ONE. 2015;10(8):e0134251. doi:10.1371/journal.pone.013425

Martinot, P., Bernard, J.Y., Peyre, H. et al. Exposure to screens and children’s language development in the EDEN mother–child cohort. Sci Rep 11, 11863 (2021). https://doi.org/10.1038/s41598-021-90867-3

Mendelsohn AL, Berkule SB, Tomopoulos S, et al. Infant Television and Video Exposure Associated With Limited Parent-Child Verbal Interactions in Low Socioeconomic Status Households. Arch Pediatr Adolesc Med. 2008;162(5):411-417. doi:10.1001/archpedi.162.5.411

Okely, A., Salmon, J., Vella, S., Cliff, D., Timperio, A., Tremblay, M., Trost, S., Shilton, T., Hinkley, T.,
Ridgers, N., et al. (2012). A Systematic Review to update the Australian Physical Activity Guidelines
for Children and Young People. Report prepared for the Australian.

Thomée, S. (2018). Mobile phone use and mental health. A review of the research that takes a psychological perspective on exposure. International journal of environmental research and public health15(12), 2692.

Tremblay, M.S., LeBlanc, A.G., Kho, M.E., Saunders, T.J., Larouche, R., Colley, R.C., Goldfield, G., and
Gorber, S.C. (2011c). Systematic review of sedentary behaviour and health indicators in school-aged
children and youth. Int. J. Behav. Nutr. Phys. Act. 8, 98.

Vandewater EA, Bickham DS, Lee JH. Time well spent? Relating television use to children’s free-time activities. Pediatrics. 2006;117(2):e181-191. doi:10.1542/peds.2005-0812

Zimmerman FJ, Gilkerson J, Richards JA, et al. Teaching by Listening: The Importance of Adult-Child Conversations to Language Development. Pediatrics. 2009;124(1):342-349. doi:10.1542/peds.2008-2267

Un immense merci à Stéphanie Iannuzzi, neuropsychologue au CRTLA de Toulouse et à Pauline Martinot, thésarde dans l’équipe pour l’aide à l’élaboration de cet article et pour les précieuses références.