Mon Cerveau à l'école

Quelques éléments de sciences cognitives pour les enseignants et les parents

  • Signes d’alerte de difficultés de langage

    Vous vous inquiétez car votre enfant dit peu de mots.

    La variabilité dans l’acquisition du langage est assez importante même au sein d’une même famille. Néanmoins si vous vous inquiétez, il y a peut-être anguille sous roche…. et vous pouvez consulter ce texte publié par le ministère français de la Santé des signes d’alerte de difficultés de langage ICI

    et télécharger cet inventaire des mots que les enfants de 12-18 et 24 mois produisent généralement (Inventaire de Mc Arthur, adaptation française de S. Kern, CNRS). Attention, cet inventaire est juste un indicateur qui doit être discuté avec un professionnel mais il peut vous aider à apprécier plus objectivement où en est votre enfant.

  • Les dys….

    La mise en place, à la fois souple et contrainte, d’une structure aussi complexe que le cerveau comporte inévitablement un risque d’accroc. Et de fait, environ 5 à 12 % des enfants d’une classe d’âge souffrent de déficits dans un domaine cognitif : dysphasie (troubles du langage oral), dyslexie (troubles de la lecture), dyscalculie (troubles du calcul), dyspraxie (troubles du mouvement), hyperactivité ou déficit de l’attention… Il ne s’agit pas là d’une nouvelle marotte des psychologues : le pourcentage de jeunes en difficulté lors des tests des Journées d’appel de préparation à la défense confirme la prévalence des problèmes d’apprentissage dans notre pays.

    En 2006 par exemple, sur les 800 000 jeunes testés, seuls 78,7 % lisaient efficacement. Pour le reste, 9,6 % étaient des lecteurs médiocres, 6,9 % avaient de faibles capacités et 4,8 % rencontraient des difficultés importantes. Ces pourcentages se répètent peu ou prou chaque année.

    Ces résultats recoupent ceux des évaluations nationales 2009 en primaire, où 73 % des enfants maîtrisaient la lecture, 18 % avaient des acquis fragiles et 9 % connaissaient des difficultés importantes. Dans une société de plus en plus technique, ces troubles d’apprentissage, longtemps méconnus, créent des difficultés scolaires compromettant l’avenir professionnel des enfants (D’après les enquêtes emplois 2007 de l’Insee, le chômage concerne 37 % des adultes sans diplôme contre 9 % des adultes ayant une formation supérieure). C’est pourquoi ils attirent de plus en plus l’attention des parents, éducateurs et médecins. 20% de la population en difficulté vis-à-vis de la lecture ne correspond évidemment pas stricto sensu aux troubles spécifiques des apprentissages définis dans les livres de médecine. Les catégories nosographiques peuvent en effet apparaître trop étroites par rapport aux difficultés rencontrées sur le terrain. Raison de plus pour comprendre comment le cerveau apprend, afin de développer de nouvelles pédagogies.

    Enfance et apprentissage

    Dans toutes les civilisations, les humains profitent des premières années de vie de leurs enfants pour enseigner, d’abord au sein de la famille puis à l’école. Nous prenons avantage – sans forcément le savoir – de l’importante plasticité neurale du jeune âge pour apprendre à parler, lire, compter, faire de la musique… Pourquoi est-ce si facile d’apprendre le piano ou une deuxième langue pendant l’enfance, alors que les adultes raisonnent plus profondément et manient des concepts autrement plus complexes que les enfants ? Pourquoi certains enfants pourtant intelligents sont-ils incapables de lire « papa » à 12 ans, ou de dire que si on enlève le premier son à « bras », il reste « ra » (à l’oral), ou ne « voient » pas que 25 est plus grand que 20 ? Ces difficultés peuvent persister à l’âge adulte : j’ai rencontré les deux derniers exemples chez des adultes, l’un chauffeur et l’autre docteur en histoire, sans problème autre que leur déficit tout à fait restreint à la parole ou aux nombres – déficit qui avait empoisonné toute leur scolarité.

    Génétique ?

    verre1La génétique contribue sans doute à la plupart de ces déficits. De nombreux gènes s’expriment dans le cerveau du fœtus, parfois pendant de courtes périodes et dans des régions spécifiques, dirigeant la multiplication et la migration des neurones et favorisant les bonnes connexions. entre ces cellules Ces gènes peuvent agir directement, ou réguler d’autres gènes, qui eux-mêmes agissent directement ou influent à leur tour sur d’autres gènes, créant des cascades compliquées d’interactions et nous comprenons encore très mal quelles sont les instructions génétiques qui permettent de construire un cerveau . Quoi qu’il en soit, un parent dyslexique a un risque sur deux d’avoir un enfant dyslexique. De nombreux gènes semblent liés à cette pathologie, mais tous ceux identifiés jusqu’ici interviennent dans la migration des neurones. Des études post mortem de patients dyslexiques ont d’ailleurs montré des amas de neurones ayant le plus souvent dépassé leur cible. Ces neurones mal placés n’effectuent donc pas correctement leur travail. Mais quel travail ? La relation entre ces anomalies corticales et le déficit cognitif reste difficile à établir, alors même que la dyslexie est le trouble développemental le plus étudié et le mieux connu.

    L’influence de l’environnement

    remplirverreLes gènes suffisent-ils pour expliquer la pathologie ? Évidemment non. L’environnement intervient de façon cruciale dans le développement cognitif. Par exemple, si un jumeau est dyslexique, son « vrai » jumeau ne le sera pas forcément, même s’il a un risque de dyslexie plus important qu’un autre membre de la fratrie ou qu’une personne sans parent dyslexique. Les troubles de lecture se rencontrent aussi plus fréquemment dans les milieux défavorisés. Si vous avez un vocabulaire pauvre ou si les livres ne sont pas familiers dans votre environnement, vous renoncerez plus vite devant la difficulté du déchiffrage et vous lirez moins. Or il en va de la lecture comme du tennis : moins vous vous exercez, moins vous progressez.

    Autre exemple d’influence du milieu sur l’apprentissage de la lecture : la nature « opaque » ou « transparente » de la langue. Les langues « opaques », comme l’anglais, ne sont pas régulières dans leur transcription de la parole. Contrairement à l’italien, langue « transparente » où chaque lettre correspond à un son et chaque son à une lettre, en anglais les mêmes lettres peuvent se lire de manière différente. Or cette opacité a un coût, même pour les enfants sans problème. À la fin du Cours Préparatoire (CP), les petits Italiens savent lire alors que les petits Anglais auront besoin de trois ans de plus pour atteindre le même niveau. Le français est une langue intermédiaire, beaucoup plus difficile à l’écriture (le son « o » peut s’écrire de multiples manières o, au, eau, aut…) qu’à la lecture (« eau » se lit toujours « o »). La prévalence de la dyslexie est donc, sans surprise, plus importante dans les pays anglophones.

    Au total, si le contexte génétique (le plus souvent lié à de multiples gènes) peut favoriser des difficultés d’apprentissage dans tel ou tel domaine, le milieu intervient également. Il peut amplifier ces difficultés en n’apportant pas le soutien nécessaire ou les corriger en exploitant les multiples voies d’apprentissage.

    Comment les repérer?

    Dans cette conférence donnée au collège de France, Michèle Mazeau donne des pistes pour repérer et aider ces enfants dans la classe.

    J’en profite pour conseiller les livres et conférences de Michèle Mazeau, la meilleure spécialiste en neuropsychologie de l’enfant. Ses livres sont plutôt techniques et pour les spécialistes mais dans un très récent livre, elle raconte son parcours et l’émergence de ce domaine en France.

    Mieux comprendre les DYS - de leur émergence aux neurosciences : Le parcours professionnel d'une pionnière, spécialiste de la neuropsychologie infantile
  • L’imagerie cérébrale et les dys…

    Dissipons tout d’abord un malentendu concernant la signification des résultats obtenus en imagerie. L’imagerie ne met pas en évidence des effets “biologiques”, présumés “fixés”. Elle présente l’état d’un cerveau, organe plastique par excellence, à un instant donné et cet état est tout autant le produit de son histoire biologique que celui de l’environnement culturel dans lequel il se situe. Ainsi illettrisme et dyslexie peuvent se traduire par les mêmes images. Pourtant les unes sont liées à la non fréquentation de l’école et les autres à des difficultés de l’apprentissage de la lecture. L’imagerie peut donc tout autant explorer les causes biologiques de la dyslexie que l’impact de telle ou telle stratégie éducative. Cette absence de spécificité crée d’ailleurs une difficulté dans l’interprétation des résultats lors de la comparaison d’un groupe pathologique et d’un groupe contrôle, puisque les différences observées peuvent être liées soit à la cause de la pathologie ou n’en être que la conséquence. Par exemple, si les dyslexiques n’activent pas la région de la forme visuelle des mots, est-ce dû à une mauvaise organisation de cette région occipitale qui serait à la source des difficultés de lecture ou à l’inverse est-ce l’automatisation de la reconnaissance des lettres dans cette région qui n’a pu se produire du fait d’un nombre insuffisant de textes lus? Cause ou conséquence, il est souvent difficile de séparer ces deux alternatives.

    Qu’avons-nous donc appris ces dernières années grâce à l’imagerie ?

    Le cerveau est dit “plastique”, c’est à dire qu’il peut se réorganiser. C’est une fantastique capacité de pouvoir s’autotransformer! Mais il y a des contraintes qu’il faut respecter. On ne peut pas tout apprendre n’importe comment. Il y a des stratégies qui marchent et d’autres qui ne marchent pas. Celles qui s’adaptent aux contraintes cérébrales sont plus efficaces que celles qui luttent contre nos tendances naturelles. Par exemple, reconnaitre des visages est évident pour un humain (difficile pour un ordinateur), multiplier des chiffres demande un effort alors que c’est une opération basique pour un ordinateur. Le but des neurosciences est donc de trouver les stratégies les plus efficaces pour telle ou telle tâche cognitive étant donné les caractéristiques cérébrales. La première étape est donc de comprendre comment l’enfant, ou l’adulte sans problème lit, parle, calcule et grâce au développement de l’imagerie cérébrale, la boite noire s’est ouverte.

    Voici les principaux changements qu'induit la lecture dans le cerveau.
    Voici les principaux changements qu’induit la lecture dans le cerveau.

    La dyslexie est la pathologie la plus étudiée et donc l’exemple le plus clair de ce que peut actuellement apporter l’imagerie. L’apprentissage de la lecture consiste à apprendre la correspondance entre une forme visuelle et le son qu’elle représente. Cet apprentissage modifie en profondeur les régions visuelles qui développent une réponse spécifique aux chaines de caractères fréquemment rencontrées pour le codage des sons de la langue. Cette région dite de la forme visuelle des mots se situe dans le gyrus fusiforme gauche (le cercle rouge le plus en avant en bas du cerveau sur la figure)  à des coordonnées étonnamment reproductibles à travers les individus d’une même langue mais aussi à travers différentes langues et écritures.

    Ceci peut paraître étonnant pour une activité culturelle mais cette reproductibilité est vraisemblablement liée à la relation privilégiée de cette région avec d’autres régions cérébrales cruciales, d’une part les régions visuelles qui codent les informations du centre de la vision (fovea) et d’autre part les régions du langage oral (en vert sur la figure). Cette activation spécifique aux mots s’établit rapidement puisque dans nos études, des enfants de fin de CP ont déjà développé cette réponse.

    La lecture modifie également profondément le réseau du langage oral car elle nécessite une prise de conscience analytique du langage parlé jusqu’à ses briques les plus élémentaires, les phonèmes. Bien que dès la naissance, les nourrissons discriminent les phonèmes de façon similaire aux adultes, la manipulation consciente de ces éléments ne devient efficace qu’au moment de l’apprentissage de la lecture comme le prouvent les mauvaises performances des illettrés dans des tâches où ils doivent les manipuler. Cette attention automatique aux phonémes produit une augmentation des activations dans la région du planum temporale (le point rouge en haut de la figure) lorsque des lecteurs (adultes et enfants) écoutent leur langue maternelle, par rapport à des non-lecteurs de même âge.

    Les différences entre langues opaques et transparentes sont visibles en imagerie (une langue est dite transparente quand les sons sont codés simplement et invariablement. Le prototype d’une langue transparent est l’italien, un son correspond à une lettre et réciproquement, le prototype d’une langue opaque est l’anglais où existe beaucoup d’irrégularité dans la correspondance sons/lettres). Les lecteurs anglophones recrutent beaucoup plus les régions de la production de la parole alors que les italiens activent plus une voie plus directe de stockage des sons de la parole. Pour déterminer la prononciation d’une suite de lettres, les anglophones sont obligés de recruter les aires frontales comme le font les jeunes lecteurs alors que cette étape n’est plus nécessaire dans une écriture régulière comme l’italien. On voit dans cet exemple comment différents environnements culturels peuvent recruter plus ou moins certaines aires cérébrales, mais pas n’importe lesquelles!

    Chez les dyslexiques, la région de la forme visuelle des mots s’active beaucoup moins lors de tâches de lecture que chez les normo-lecteurs de même âge, et ce quelle que soit la langue. Les dyslexiques montrent également moins d’activation dans les régions du langage oral et plusieurs études structurales montrent des anomalies dans la substance blanche à gauche  dans une région où passe un important faisceau linguistique, le faisceau arqué, reliant les différentes régions linguistiques. Ces résultats sont concordants avec le modèle actuel de la dyslexie qui attribue les difficultés de lecture à des problèmes de décodage des sons de la parole alors que l’hypoactivation de la région visuelle des mots ne serait qu’une conséquence de l’absence d’automatisation de la reconnaissance visuelle des mots. La difficulté à percevoir que /b/ et /d/ sont des sons différents empêche évidemment de leur assigner des lettres. D’ailleurs, pour des mots bien connus l’activation dans la région visuelle des mots est similaire chez des adultes normo-lecteurs et des mauvais lecteurs persistants. Mais ces derniers recrutent en plus la région préfrontale droite, suggérant qu’ils s’aident beaucoup plus de la mémoire que les normaux-lecteurs.

    Comme pour les différences entre lecteurs de différentes langues, il est donc possible de compenser des difficultés par l’utilisation de régions cérébrales supplémentaires. Ces observations témoignent donc des ressources dont disposent le cerveau, même en cas de difficultés, mais il faut dans ce cas de nouvelles stratégies. Par exemple, écrire la forme de la lettre en en disant le son et en la visualisant aide significativement l’apprentissage des correspondances sons-lettres chez l’enfant normo-lecteur (Gentaz, 2003).

    Chez les dyslexiques, nous avons observé en imagerie que ceux qui s’en sortaient le mieux étaient ceux qui présentaient le plus d’activation dans la région de la main lorsqu’ils entendaient de la parole suggérant que ces enfants utilisaient un codage manuel pour compenser leurs difficultés auditives. Cette stratégie, que ces enfants avaient sans doute découverte spontanément, pourrait être systématiquement et explicitement utilisée.

    Le succès de l’espèce humaine est basé sur son développement culturel, où chaque génération enseigne à la suivante. Ce succès évolutif repose sur le cerveau, fantastique machine à apprendre. Même nouveau-né, même dyslexique ou dyspraxique, ce cerveau apprend.

    Si la pédagogie habituelle n’est pas la bonne pour un enfant particulier, à nous de trouver une nouvelle solution, en s’appuyant sur d’autres compétences pour contourner la difficulté. Plus nous comprenons les mécanismes cérébraux, plus nous pourrons imaginer ces solutions. L’imagerie cérébrale devient alors un outil précis et précieux dans cette quête. Ces recherches en sont encore à leur début, car l’imagerie cérébrale est récente mais ces prochaines années devraient voir une dissection de plus en plus fine des mécanismes d’apprentissage et des suggestions pédagogiques pour éviter de laisser 20% de nos concitoyens sur le bord de la route (aux journées d’appel à la défense (2006) seulement 78% des jeunes adultes sont à l’aise avec la lecture!).