La mise en place, à la fois souple et contrainte, d’une structure aussi complexe que le cerveau comporte inévitablement un risque d’accroc. Et de fait, environ 5 à 12 % des enfants d’une classe d’âge souffrent de déficits dans un domaine cognitif : dysphasie (troubles du langage oral), dyslexie (troubles de la lecture), dyscalculie (troubles du calcul), dyspraxie (troubles du mouvement), hyperactivité ou déficit de l’attention… Il ne s’agit pas là d’une nouvelle marotte des psychologues : le pourcentage de jeunes en difficulté lors des tests des Journées d’appel de préparation à la défense confirme la prévalence des problèmes d’apprentissage dans notre pays.
En 2006 par exemple, sur les 800 000 jeunes testés, seuls 78,7 % lisaient efficacement. Pour le reste, 9,6 % étaient des lecteurs médiocres, 6,9 % avaient de faibles capacités et 4,8 % rencontraient des difficultés importantes. Ces pourcentages se répètent peu ou prou chaque année.
Ces résultats recoupent ceux des évaluations nationales 2009 en primaire, où 73 % des enfants maîtrisaient la lecture, 18 % avaient des acquis fragiles et 9 % connaissaient des difficultés importantes. Dans une société de plus en plus technique, ces troubles d’apprentissage, longtemps méconnus, créent des difficultés scolaires compromettant l’avenir professionnel des enfants (D’après les enquêtes emplois 2007 de l’Insee, le chômage concerne 37 % des adultes sans diplôme contre 9 % des adultes ayant une formation supérieure). C’est pourquoi ils attirent de plus en plus l’attention des parents, éducateurs et médecins. 20% de la population en difficulté vis-à-vis de la lecture ne correspond évidemment pas stricto sensu aux troubles spécifiques des apprentissages définis dans les livres de médecine. Les catégories nosographiques peuvent en effet apparaître trop étroites par rapport aux difficultés rencontrées sur le terrain. Raison de plus pour comprendre comment le cerveau apprend, afin de développer de nouvelles pédagogies.
Enfance et apprentissage
Dans toutes les civilisations, les humains profitent des premières années de vie de leurs enfants pour enseigner, d’abord au sein de la famille puis à l’école. Nous prenons avantage – sans forcément le savoir – de l’importante plasticité neurale du jeune âge pour apprendre à parler, lire, compter, faire de la musique… Pourquoi est-ce si facile d’apprendre le piano ou une deuxième langue pendant l’enfance, alors que les adultes raisonnent plus profondément et manient des concepts autrement plus complexes que les enfants ? Pourquoi certains enfants pourtant intelligents sont-ils incapables de lire « papa » à 12 ans, ou de dire que si on enlève le premier son à « bras », il reste « ra » (à l’oral), ou ne « voient » pas que 25 est plus grand que 20 ? Ces difficultés peuvent persister à l’âge adulte : j’ai rencontré les deux derniers exemples chez des adultes, l’un chauffeur et l’autre docteur en histoire, sans problème autre que leur déficit tout à fait restreint à la parole ou aux nombres – déficit qui avait empoisonné toute leur scolarité.
Génétique ?
La génétique contribue sans doute à la plupart de ces déficits. De nombreux gènes s’expriment dans le cerveau du fœtus, parfois pendant de courtes périodes et dans des régions spécifiques, dirigeant la multiplication et la migration des neurones et favorisant les bonnes connexions. entre ces cellules Ces gènes peuvent agir directement, ou réguler d’autres gènes, qui eux-mêmes agissent directement ou influent à leur tour sur d’autres gènes, créant des cascades compliquées d’interactions et nous comprenons encore très mal quelles sont les instructions génétiques qui permettent de construire un cerveau . Quoi qu’il en soit, un parent dyslexique a un risque sur deux d’avoir un enfant dyslexique. De nombreux gènes semblent liés à cette pathologie, mais tous ceux identifiés jusqu’ici interviennent dans la migration des neurones. Des études post mortem de patients dyslexiques ont d’ailleurs montré des amas de neurones ayant le plus souvent dépassé leur cible. Ces neurones mal placés n’effectuent donc pas correctement leur travail. Mais quel travail ? La relation entre ces anomalies corticales et le déficit cognitif reste difficile à établir, alors même que la dyslexie est le trouble développemental le plus étudié et le mieux connu.
L’influence de l’environnement
Les gènes suffisent-ils pour expliquer la pathologie ? Évidemment non. L’environnement intervient de façon cruciale dans le développement cognitif. Par exemple, si un jumeau est dyslexique, son « vrai » jumeau ne le sera pas forcément, même s’il a un risque de dyslexie plus important qu’un autre membre de la fratrie ou qu’une personne sans parent dyslexique. Les troubles de lecture se rencontrent aussi plus fréquemment dans les milieux défavorisés. Si vous avez un vocabulaire pauvre ou si les livres ne sont pas familiers dans votre environnement, vous renoncerez plus vite devant la difficulté du déchiffrage et vous lirez moins. Or il en va de la lecture comme du tennis : moins vous vous exercez, moins vous progressez.
Autre exemple d’influence du milieu sur l’apprentissage de la lecture : la nature « opaque » ou « transparente » de la langue. Les langues « opaques », comme l’anglais, ne sont pas régulières dans leur transcription de la parole. Contrairement à l’italien, langue « transparente » où chaque lettre correspond à un son et chaque son à une lettre, en anglais les mêmes lettres peuvent se lire de manière différente. Or cette opacité a un coût, même pour les enfants sans problème. À la fin du Cours Préparatoire (CP), les petits Italiens savent lire alors que les petits Anglais auront besoin de trois ans de plus pour atteindre le même niveau. Le français est une langue intermédiaire, beaucoup plus difficile à l’écriture (le son « o » peut s’écrire de multiples manières o, au, eau, aut…) qu’à la lecture (« eau » se lit toujours « o »). La prévalence de la dyslexie est donc, sans surprise, plus importante dans les pays anglophones.
Au total, si le contexte génétique (le plus souvent lié à de multiples gènes) peut favoriser des difficultés d’apprentissage dans tel ou tel domaine, le milieu intervient également. Il peut amplifier ces difficultés en n’apportant pas le soutien nécessaire ou les corriger en exploitant les multiples voies d’apprentissage.
Comment les repérer?
Dans cette conférence donnée au collège de France, Michèle Mazeau donne des pistes pour repérer et aider ces enfants dans la classe.
J’en profite pour conseiller les livres et conférences de Michèle Mazeau, la meilleure spécialiste en neuropsychologie de l’enfant. Ses livres sont plutôt techniques et pour les spécialistes mais dans un très récent livre, elle raconte son parcours et l’émergence de ce domaine en France.