Dissipons tout d’abord un malentendu concernant la signification des résultats obtenus en imagerie. L’imagerie ne met pas en évidence des effets “biologiques”, présumés “fixés”. Elle présente l’état d’un cerveau, organe plastique par excellence, à un instant donné et cet état est tout autant le produit de son histoire biologique que celui de l’environnement culturel dans lequel il se situe. Ainsi illettrisme et dyslexie peuvent se traduire par les mêmes images. Pourtant les unes sont liées à la non fréquentation de l’école et les autres à des difficultés de l’apprentissage de la lecture. L’imagerie peut donc tout autant explorer les causes biologiques de la dyslexie que l’impact de telle ou telle stratégie éducative. Cette absence de spécificité crée d’ailleurs une difficulté dans l’interprétation des résultats lors de la comparaison d’un groupe pathologique et d’un groupe contrôle, puisque les différences observées peuvent être liées soit à la cause de la pathologie ou n’en être que la conséquence. Par exemple, si les dyslexiques n’activent pas la région de la forme visuelle des mots, est-ce dû à une mauvaise organisation de cette région occipitale qui serait à la source des difficultés de lecture ou à l’inverse est-ce l’automatisation de la reconnaissance des lettres dans cette région qui n’a pu se produire du fait d’un nombre insuffisant de textes lus? Cause ou conséquence, il est souvent difficile de séparer ces deux alternatives.
Qu’avons-nous donc appris ces dernières années grâce à l’imagerie ?
Le cerveau est dit “plastique”, c’est à dire qu’il peut se réorganiser. C’est une fantastique capacité de pouvoir s’autotransformer! Mais il y a des contraintes qu’il faut respecter. On ne peut pas tout apprendre n’importe comment. Il y a des stratégies qui marchent et d’autres qui ne marchent pas. Celles qui s’adaptent aux contraintes cérébrales sont plus efficaces que celles qui luttent contre nos tendances naturelles. Par exemple, reconnaitre des visages est évident pour un humain (difficile pour un ordinateur), multiplier des chiffres demande un effort alors que c’est une opération basique pour un ordinateur. Le but des neurosciences est donc de trouver les stratégies les plus efficaces pour telle ou telle tâche cognitive étant donné les caractéristiques cérébrales. La première étape est donc de comprendre comment l’enfant, ou l’adulte sans problème lit, parle, calcule et grâce au développement de l’imagerie cérébrale, la boite noire s’est ouverte.
La dyslexie est la pathologie la plus étudiée et donc l’exemple le plus clair de ce que peut actuellement apporter l’imagerie. L’apprentissage de la lecture consiste à apprendre la correspondance entre une forme visuelle et le son qu’elle représente. Cet apprentissage modifie en profondeur les régions visuelles qui développent une réponse spécifique aux chaines de caractères fréquemment rencontrées pour le codage des sons de la langue. Cette région dite de la forme visuelle des mots se situe dans le gyrus fusiforme gauche (le cercle rouge le plus en avant en bas du cerveau sur la figure) à des coordonnées étonnamment reproductibles à travers les individus d’une même langue mais aussi à travers différentes langues et écritures.
Ceci peut paraître étonnant pour une activité culturelle mais cette reproductibilité est vraisemblablement liée à la relation privilégiée de cette région avec d’autres régions cérébrales cruciales, d’une part les régions visuelles qui codent les informations du centre de la vision (fovea) et d’autre part les régions du langage oral (en vert sur la figure). Cette activation spécifique aux mots s’établit rapidement puisque dans nos études, des enfants de fin de CP ont déjà développé cette réponse.
La lecture modifie également profondément le réseau du langage oral car elle nécessite une prise de conscience analytique du langage parlé jusqu’à ses briques les plus élémentaires, les phonèmes. Bien que dès la naissance, les nourrissons discriminent les phonèmes de façon similaire aux adultes, la manipulation consciente de ces éléments ne devient efficace qu’au moment de l’apprentissage de la lecture comme le prouvent les mauvaises performances des illettrés dans des tâches où ils doivent les manipuler. Cette attention automatique aux phonémes produit une augmentation des activations dans la région du planum temporale (le point rouge en haut de la figure) lorsque des lecteurs (adultes et enfants) écoutent leur langue maternelle, par rapport à des non-lecteurs de même âge.
Les différences entre langues opaques et transparentes sont visibles en imagerie (une langue est dite transparente quand les sons sont codés simplement et invariablement. Le prototype d’une langue transparent est l’italien, un son correspond à une lettre et réciproquement, le prototype d’une langue opaque est l’anglais où existe beaucoup d’irrégularité dans la correspondance sons/lettres). Les lecteurs anglophones recrutent beaucoup plus les régions de la production de la parole alors que les italiens activent plus une voie plus directe de stockage des sons de la parole. Pour déterminer la prononciation d’une suite de lettres, les anglophones sont obligés de recruter les aires frontales comme le font les jeunes lecteurs alors que cette étape n’est plus nécessaire dans une écriture régulière comme l’italien. On voit dans cet exemple comment différents environnements culturels peuvent recruter plus ou moins certaines aires cérébrales, mais pas n’importe lesquelles!
Chez les dyslexiques, la région de la forme visuelle des mots s’active beaucoup moins lors de tâches de lecture que chez les normo-lecteurs de même âge, et ce quelle que soit la langue. Les dyslexiques montrent également moins d’activation dans les régions du langage oral et plusieurs études structurales montrent des anomalies dans la substance blanche à gauche dans une région où passe un important faisceau linguistique, le faisceau arqué, reliant les différentes régions linguistiques. Ces résultats sont concordants avec le modèle actuel de la dyslexie qui attribue les difficultés de lecture à des problèmes de décodage des sons de la parole alors que l’hypoactivation de la région visuelle des mots ne serait qu’une conséquence de l’absence d’automatisation de la reconnaissance visuelle des mots. La difficulté à percevoir que /b/ et /d/ sont des sons différents empêche évidemment de leur assigner des lettres. D’ailleurs, pour des mots bien connus l’activation dans la région visuelle des mots est similaire chez des adultes normo-lecteurs et des mauvais lecteurs persistants. Mais ces derniers recrutent en plus la région préfrontale droite, suggérant qu’ils s’aident beaucoup plus de la mémoire que les normaux-lecteurs.
Comme pour les différences entre lecteurs de différentes langues, il est donc possible de compenser des difficultés par l’utilisation de régions cérébrales supplémentaires. Ces observations témoignent donc des ressources dont disposent le cerveau, même en cas de difficultés, mais il faut dans ce cas de nouvelles stratégies. Par exemple, écrire la forme de la lettre en en disant le son et en la visualisant aide significativement l’apprentissage des correspondances sons-lettres chez l’enfant normo-lecteur (Gentaz, 2003).
Chez les dyslexiques, nous avons observé en imagerie que ceux qui s’en sortaient le mieux étaient ceux qui présentaient le plus d’activation dans la région de la main lorsqu’ils entendaient de la parole suggérant que ces enfants utilisaient un codage manuel pour compenser leurs difficultés auditives. Cette stratégie, que ces enfants avaient sans doute découverte spontanément, pourrait être systématiquement et explicitement utilisée.
Le succès de l’espèce humaine est basé sur son développement culturel, où chaque génération enseigne à la suivante. Ce succès évolutif repose sur le cerveau, fantastique machine à apprendre. Même nouveau-né, même dyslexique ou dyspraxique, ce cerveau apprend.
Si la pédagogie habituelle n’est pas la bonne pour un enfant particulier, à nous de trouver une nouvelle solution, en s’appuyant sur d’autres compétences pour contourner la difficulté. Plus nous comprenons les mécanismes cérébraux, plus nous pourrons imaginer ces solutions. L’imagerie cérébrale devient alors un outil précis et précieux dans cette quête. Ces recherches en sont encore à leur début, car l’imagerie cérébrale est récente mais ces prochaines années devraient voir une dissection de plus en plus fine des mécanismes d’apprentissage et des suggestions pédagogiques pour éviter de laisser 20% de nos concitoyens sur le bord de la route (aux journées d’appel à la défense (2006) seulement 78% des jeunes adultes sont à l’aise avec la lecture!).