Mon Cerveau à l'école

Quelques éléments de sciences cognitives pour les enseignants et les parents

  • Le cerveau lecteur

    Par quels circuits cérébraux passe la lecture ? Comment se modifient-ils quand on apprend à lire?

    Le cerveau avant la lecture

    Avant la lecture, les régions cérébrales du langage parlé, située le plus souvent dans l’hémisphère gauche du cerveau, sont déjà en place — l’enfant sait parler, comprendre les phrases, et son vocabulaire s’enrichit de plusieurs milliers de mots par an.

    Un enfant prélecteur sait également reconnaître les objets qu’il voit et les nommer : il possède donc un système visuel organisé, sophistiqué et déjà connecté aux aires cérébrales du langage.

    Mais lire un mot ne ressemble pas vraiment à nommer un objet. Pour lire, une partie des aires visuelles du cerveau doit se spécialiser pour les lettres et les mots écrits. La lecture développe une interface, une connexion entre la vision et les aires cérébrales du langage parlé.

    La «  région de la forme visuelle des mots  »: la boîte aux lettres du cerveau

    Avant d’apprendre à lire, tous les mots écrits se ressemblent. Pour un illettré,  il n’est pas facile de repérer les minuscules différences qui distinguent un e d’un o ou d’un c. Une région particulière du cerveau doit se spécialiser dans le décryptage des lettres et de leurs combinaisons.

    En comparant le cerveau de lecteurs et d’illettrés, nous avons découvert que le principal changement qu’impose la lecture se situe dans l’hémisphère gauche, dans une région bien précise qu’on appelle l’aire de la forme visuelle des mots. C’est elle qui concentre toutes nos connaissances visuelles sur les lettres et leurs combinaisons. Lors de la présentation de lettres, son activité s’accroît en proportion directe du niveau de lecture  : mieux on sait lire, et plus elle répond. Au cours de l’apprentissage, sa réponse augmente donc progressivement, sans doute parce qu’un nombre croissant de neurones se spécialise dans la lecture .

    La théorie du recyclage neuronal

    Avant d’apprendre à lire, cette « aire de la forme visuelle des mots  » n’est pas inactive — mais elle sert à autre chose qu’à lire.
    Elle appartient à une région plus large qui, chez l’homme comme chez les autres primates, sert à reconnaître les visages, les objets et les formes géométriques. Apprendre à lire consiste à recycler un morceau de ce cortex afin qu’une partie des neurones qui s’y trouvent réorientent leurs préférences vers la reconnaissance des lettres – c’est la théorie du recyclage neuronal.

    Dans cette aire de la forme visuelle des mots, au cours de l’apprentissage de la lecture, les réponses aux mots augmentent, tandis que les réponses à tout ce qui n’est pas de l’écriture, comme les visages, diminuent progressivement : la lecture entre en compétition avec les connaissances préalablement installées dans ce secteur du cortex.

    L'aire de la forme visuelle des mots:
    Localisation approximative de l’aire visuelle de la forme des mots — la “boîte aux lettres” du cerveau

    Ce morceau de cortex doit apprendre que A et a, si différents en apparence, sont en fait la même lettre, alors que e et c, qui se ressemblent, doivent être distingués. Il apprend également que l’ordre des lettres compte, que certaines combinaisons de lettres sont fréquentes et d’autres rares… toutes ces connaissances sont codées dans cette région. D’ailleurs, chez un adulte, si cette région est détériorée par une lésion ou un accident vasculaire, la lecture devient strictement impossible. C’est ce qu’on appelle l’alexie pure: un déficit sélectif de la reconnaissance des mots écrits, qui apparaît à la suite d’une lésion cérébrale.

    Quelles sont les différences entre un lettré et un illettré ?

    L’aire de la forme visuelle des mots n’est pas la seule région du cerveau qui se développe avec la lecture. Comme l’ont montré plusieurs laboratoires, toute la chaîne qui relie la vision au langage parlé se modifie, et n’est donc plus la même chez un bon lecteur que chez un illettré.

    Lire raffine la précision de la vision : chez le lecteur expert, ce raffinement de la précision visuelle se traduit par un surcroît d’activité dans les aires visuelles qui reçoivent les informations de la zone horizontale de la rétine, celle où se situent les lettres.

    Régions du cerveau dont l'activité augmente avec le score de lecture, en réponse à des phrases écrites.
    Régions du cerveau dont l’activité augmente avec le score de lecture: mieux une personne lit, plus ces régions s’activent.

    Lire apprend à recoder les sons du langage  : une région appelée planum temporale, située juste en arrière de l’aire auditive primaire, augmente fortement son activité chez les lettrés comparés aux illettrés. Or cette région ne répond qu’au langage parlé, on peut donc penser que le codage même des sons du langage se modifie avec l’apprentissage de l’alphabet. Effectivement, les illettrés codent moins bien les mots parlés, surtout de faux mots comme «  paison  », qu’ils confondent avec des mots connus comme «  maison  ». En conséquence, lire renforce la mémoire orale  : les illettrés ne peuvent pas répéter une longue suite de syllabes comme ‘pa ta ma di lo ke’. Surtout, leur capacité à manipuler les phonèmes est réduite. Ils ne savent pas reconnaître le même son ‘b’ dans ‘ba’ et dans ‘ab’, ni enlever le premier son du mot «  mari  » (ce qui donne «  ari ). Toutes ces compétences, qui forment la conscience phonologique, se développent lorsque l’on apprend à lire.

    Lire donne accès au langage par la vision : Chez un bon lecteur, toutes les régions du cerveau qui s’activent lors de l’écoute du langage oral parviennent également à s’activer par le biais de la lecture silencieuse. Ainsi, la lecture nous donne accès, par la vision, à tous les mots et à toutes les phrases que nous sommes capables de comprendre à l’oral.

    [Ce texte est adapté de l’ouvrage “Apprendre à lire : Des sciences cognitives à la salle de classe”, dirigé par Stanislas Dehaene et publié aux éditions Odile Jacob (2011).]

     

  • Le cerveau avant la lecture

    Pas de neurones prévus pour la lecture…

    Lire n’est pas une activité naturelle pour l’enfant. L’écriture est une invention trop récente dans l’histoire de l’humanité pour avoir pu influencer l’évolution de notre cerveau : notre patrimoine génétique ne comprend pas d’instructions pour lire ni de circuits dédiés à la lecture. C’est avec beaucoup d’efforts que nous pouvons recycler certaines prédispositions de notre cerveau afin de devenir un lecteur expert.

    …mais toute une architecture dédiée dès la naissance au langage.

    BabyLanguage
    Le bébé de 2 mois active déjà ses aires du langage, dans l’hémisphère gauche, lorsqu’il écoute des phrases dans sa langue maternelle.

     

    Bien avant d’apprendre à lire, l’enfant est déjà un expert du langage parlé. L’imagerie cérébrale montre que, dès les premiers mois de vie, l’enfant qui écoute des phrases de sa langue maternelle active déjà les mêmes régions appropriées que chez l’adulte. L’hémisphère gauche, qui est l’hémisphère dominant pour le langage chez la plupart des adultes, abrite déjà, chez le bébé de quelques mois, des circuits neuronaux qui répondent à la voix (particulièrement à celle de la maman) et qui distinguent des syllabes proches comme ‘ba’ et ‘da’.

     

     

    Une histoire de la construction du langage

    À la naissance

    • le bébé écoute surtout la mélodie des phrases mais il est déjà capable de différencier deux syllabes proches comme ba et da. Il est même bien meilleur qu’un adulte puisqu’il différencie la plupart des contrastes phonétiques utilisées par les langues humaines alors que nous adultes, avons perdu ceux qui ne sont pas présents dans notre langue. Ainsi les bébés espagnols discriminent les sons é et è mais pas les adultes, les bébés japonais discriminent r et l mais pas les adultes, etc..

     

    Vers six mois

    • il devient particulièrement sensible aux sons employés dans sa langue maternelle, voyelles, consonnes mais aussi comment ces sons sont combinés, par exemple la suite /cn/ est peu fréquente en français contrairement à /cr/. Les petits anglophones qui ne différentiait pas les phrases en anglais et en néerlandais car la mélodie des deux langues est très proches, le font à cet âge car les suites de sons dans les deux langues sont très différentes.

     

    Avant un an

    • le bébé dispose déjà d’un embryon de lexique mental : il connait depuis l’âge de 4 mois certains mots comme son prénom, papa, maman et il repère de mieux en mieux les formes sonores qui se répètent dans les phrases. Il peut commencer à les associer à un sens. Sa perception auditive est maintenant très influencée par sa langue maternelle.

     

    A la fin de la deuxième année

    • les règles grammaticales qui les relient émergent : l’enfant reconnaît alors la différence entre
      « la montre », où « montre » est un nom, et « je montre », où « montre » est un verbe.
      Il comprend également l’importance de l’ordre des mots (« mange pas », « pas manger »).
    • Le lexique explose. Au moment de l’explosion lexicale qui survient entre 18 mois et 2 ans, il peut apprendre jusqu’à 50 mots par jour!

     

    Vers trois-quatre ans

    • ses phrases deviennent élaborées. Bien que son vocabulaire grandisse encore de plus d’une dizaine de mots par jour, on peut déjà le considérer comme un linguiste expert.

     

    Entre quatre et six ans

    • la conscience phonologique émerge : l’enfant prend progressivement conscience des structures du langage oral. Il décompose les mots en syllabes, puis en phonèmes, auxquels il est désormais capable d’accéder directement. Les jeux de mots, les rimes ou les contrepèteries l’aident à progresser!
      L’émergence de cette compétence est une condition de l’apprentissage de la lecture, car pour lire, l’enfant doit apprendre à accéder à ces structures par une nouvelle voie : la vision.

    [Ce texte est adapté de l’ouvrage “Apprendre à lire : Des sciences cognitives à la salle de classe”, dirigé par Stanislas Dehaene et publié aux éditions Odile Jacob (2011).]

  • Une introduction à la lecture

    Comment faisons-nous pour lire ?

    Au cours des vingt dernières années, la psychologie expérimentale et l’imagerie cérébrale ont clarifié la manière dont le cerveau humain reconnaît l’écriture et se modifie au fil de cet apprentissage. Nous disposons aujourd’hui d’une véritable science de la lecture.
    Bien sûr, la connaissance du cerveau ne permet pas de prescrire une unique méthode de lecture. Au contraire, la science de la lecture est compatible avec une grande liberté pédagogique, des styles très variés d’enseignement et de nombreux exercices qui laissent le champ libre à l’imagination de l’enseignant et des enfants.

    Un seul objectif

    Aider l’enfant à progresser, le plus vite possible, dans la reconnaissance fluide des mots écrits.
    Plus la lecture sera automatisée, plus l’enfant pourra concentrer son attention sur la compréhension de ce qu’il lit et devenir ainsi un lecteur autonome, qui lit autant pour apprendre que pour son propre plaisir.

    [Ce texte est adapté de l’ouvrage “Apprendre à lire : Des sciences cognitives à la salle de classe”, dirigé par Stanislas Dehaene et publié aux éditions Odile Jacob (2011).]