Pas de neurones prévus pour la lecture…
Lire n’est pas une activité naturelle pour l’enfant. L’écriture est une invention trop récente dans l’histoire de l’humanité pour avoir pu influencer l’évolution de notre cerveau : notre patrimoine génétique ne comprend pas d’instructions pour lire ni de circuits dédiés à la lecture. C’est avec beaucoup d’efforts que nous pouvons recycler certaines prédispositions de notre cerveau afin de devenir un lecteur expert.
…mais toute une architecture dédiée dès la naissance au langage.
Bien avant d’apprendre à lire, l’enfant est déjà un expert du langage parlé. L’imagerie cérébrale montre que, dès les premiers mois de vie, l’enfant qui écoute des phrases de sa langue maternelle active déjà les mêmes régions appropriées que chez l’adulte. L’hémisphère gauche, qui est l’hémisphère dominant pour le langage chez la plupart des adultes, abrite déjà, chez le bébé de quelques mois, des circuits neuronaux qui répondent à la voix (particulièrement à celle de la maman) et qui distinguent des syllabes proches comme ‘ba’ et ‘da’.
Une histoire de la construction du langage
À la naissance
- le bébé écoute surtout la mélodie des phrases mais il est déjà capable de différencier deux syllabes proches comme ba et da. Il est même bien meilleur qu’un adulte puisqu’il différencie la plupart des contrastes phonétiques utilisées par les langues humaines alors que nous adultes, avons perdu ceux qui ne sont pas présents dans notre langue. Ainsi les bébés espagnols discriminent les sons é et è mais pas les adultes, les bébés japonais discriminent r et l mais pas les adultes, etc..
Vers six mois
- il devient particulièrement sensible aux sons employés dans sa langue maternelle, voyelles, consonnes mais aussi comment ces sons sont combinés, par exemple la suite /cn/ est peu fréquente en français contrairement à /cr/. Les petits anglophones qui ne différentiait pas les phrases en anglais et en néerlandais car la mélodie des deux langues est très proches, le font à cet âge car les suites de sons dans les deux langues sont très différentes.
Avant un an
- le bébé dispose déjà d’un embryon de lexique mental : il connait depuis l’âge de 4 mois certains mots comme son prénom, papa, maman et il repère de mieux en mieux les formes sonores qui se répètent dans les phrases. Il peut commencer à les associer à un sens. Sa perception auditive est maintenant très influencée par sa langue maternelle.
A la fin de la deuxième année
- les règles grammaticales qui les relient émergent : l’enfant reconnaît alors la différence entre
« la montre », où « montre » est un nom, et « je montre », où « montre » est un verbe.
Il comprend également l’importance de l’ordre des mots (« mange pas », « pas manger »). - Le lexique explose. Au moment de l’explosion lexicale qui survient entre 18 mois et 2 ans, il peut apprendre jusqu’à 50 mots par jour!
Vers trois-quatre ans
- ses phrases deviennent élaborées. Bien que son vocabulaire grandisse encore de plus d’une dizaine de mots par jour, on peut déjà le considérer comme un linguiste expert.
Entre quatre et six ans
- la conscience phonologique émerge : l’enfant prend progressivement conscience des structures du langage oral. Il décompose les mots en syllabes, puis en phonèmes, auxquels il est désormais capable d’accéder directement. Les jeux de mots, les rimes ou les contrepèteries l’aident à progresser!
L’émergence de cette compétence est une condition de l’apprentissage de la lecture, car pour lire, l’enfant doit apprendre à accéder à ces structures par une nouvelle voie : la vision.
[Ce texte est adapté de l’ouvrage “Apprendre à lire : Des sciences cognitives à la salle de classe”, dirigé par Stanislas Dehaene et publié aux éditions Odile Jacob (2011).]