Mon Cerveau à l'école

Quelques éléments de sciences cognitives pour les enseignants et les parents

Des ZZZ aux AAA : Pourquoi le sommeil est crucial pour réussir à l’école ?

Ce texte de Emma James, Ann-Kathrin Joechner et Beate E.Muehlroth, publié dans Frontiers for young minds en avril 2020, a été traduit de l’anglais et adapté par S.Desmidt, Marie Palu et G. Dehaene-Lambertz.

Résumé
Nous dormons tous. Alors que les adultes passent environ un tiers de leur temps à dormir, on dort encore plus quand on est jeune. Cela ne signifie pas que les enfants et les adolescents sont paresseux. En fait, c’est quand on ne dort pas suffisamment que l’on est fatigué, moins efficace et incapable de se concentrer. Non seulement on doit éviter ces conséquences d’un mauvais sommeil, mais on doit aussi favoriser le bon sommeil. Un bon sommeil restaure le corps mais aussi le cerveau, en lui permettant de se réorganiser après une journée bien remplie.

Dans cet article, les auteurs examinent pourquoi le sommeil est particulièrement important pour la mémoire. La capacité d’apprendre et de se souvenir est extraordinaire pendant l’enfance et l’adolescence, le sommeil est donc particulièrement important à ces âges. Cet article explique les liens entre la maturation du cerveau et celle du sommeil et pourquoi le sommeil devrait être considérer comme très important à l’école.


À mesure que l’on se rapproche d’un examen, on a parfois l’impression qu’il y a tant à apprendre et qu’il reste si peu de temps. Alors pourquoi perdre du temps au lit ? Rester debout tard pour passer un peu plus de temps à apprendre peut sembler tentant, mais le sommeil est vital pour le corps et le cerveau. Il vous maintient en bonne santé et vous redonne de l’énergie pour que vous soyez alerte et actif le lendemain. Le sommeil donne également au cerveau le temps de se remodeler en fonction de vos besoins et de vos expériences. Le sommeil n’est pas seulement important pour la maturation du cerveau mais également pour stabiliser les souvenirs. Les scientifiques ont montré que l’activité cérébrale pendant le sommeil permettait de mémoriser les nouvelles connaissances et de se préparer à de nouveaux apprentissages le lendemain. Tout ceci signifie que dormir est beaucoup plus efficace que d’essayer de passer une “nuit blanche” la veille d’un examen. Bien que cela soit important tout au long de la vie, le sommeil est beaucoup plus efficace pendant l’enfance et l’adolescence.

Figure 1 – Comment nous mesurons le sommeil
L’activité des neurones, des yeux et des muscles est mesurée à l’aide de capteurs (à gauche) et est affichée sur un écran d’ordinateur sous forme de lignes ondulantes (à droite). Pendant le sommeil léger (zone rose), les fuseaux (spindles en anglais) du sommeil sont visibles. Pendant le sommeil plus profond – autrement dit, le sommeil à ondes lentes – les muscles du menton se détendent (la ligne devient plus plate) alors que les courbes représentant l’activité cérébrale deviennent vraiment lentes et amples (ondes lentes). Pendant le sommeil paradoxal ou à mouvements oculaires rapides (zone bleue), l’activité musculaire est la plus faible, l’activité cérébrale s’accélère et les yeux commencent à faire des mouvements rapides en zigzag.


LE CERVEAU ENDORMI

Le cerveau endormi ne fait pas toujours la même chose. Une bonne nuit de sommeil passe par différents stades de sommeil. Ces stades sont classés en fonction des mouvements des muscles et des yeux, et de l’activité des neurones (les cellules du cerveau). Les scientifiques peuvent mesurer le sommeil en plaçant des capteurs à côté des yeux, sur le menton et sur la tête pendant que la personne dort (voir figure 1). Parfois, l’activité des neurones est très rapide et chaotique, et ressemble à l’activité du cerveau éveillé. Les yeux bougent rapidement mais les muscles sont extrêmement détendus. Il s’agit du sommeil à mouvements oculaires rapides (REM pour Rapid Eye Movement en anglais) ou sommeil paradoxal (car le dormeur est très détendu mais son cerveau très actif). Ce stade du sommeil est souvent associé à des rêves très vifs. Les autres stades du sommeil sont groupés ensemble sous le nom “sommeil sans mouvement oculaire rapide” (non-REM). Il comprend un stade de sommeil léger où sont observés des figures très reconnaissables sur l’électro-encéphalogramme: “les fuseaux du sommeil” (voir figure 1), et de sommeil profond où les neurones présentent une activité rythmique lente semblable aux gigantesques vagues de l’océan (figure 1), les ondes lentes. C’est pourquoi le sommeil profond non-REM est souvent appelé sommeil à ondes lentes. Les fuseaux du sommeil léger et les ondes lentes signalent un remodelage du cerveau, ce qui signifie que plus ces éléments sont présents, plus le cerveau se transforme.


LE CERVEAU EN RECONSTRUCTION

Le nouveau-né passe plus de temps endormi qu’éveillé. Mais plus l’enfant vieillit, moins il dort. Ce n’est pas seulement la quantité de sommeil qui diminue au cours du développement, mais aussi et surtout la balance entre les différents stades du sommeil. En général, en vieillissant, la proportion de sommeil paradoxal diminue tandis que la proportion de sommeil léger non-REM augmente (figure 2).

Figure 2 – Comment le sommeil change au cours de la vie.
Avec l’âge, on dort de moins en moins et l’équilibre entre sommeil paradoxal (REM) et sommeil non paradoxal (non-REM) se modifie pendant l’enfance: Plus les enfants vieillissent, moins ils passent de temps en sommeil profond, appelé aussi sommeil à ondes lentes (Adapté de Roffwarg et al. [1]. Reproduit avec la permission de l’AAAS). Le sommeil paradoxal correspond à la période du rêve. Il est appelé paradoxal car le corps est totalement mou mais le cerveau très actif quand on l’enregistre en électro-encéphalographie (EEG) et les yeux bougent beaucoup sous la paupière d’où son nom anglais REM pour Rapid Eye Movement.


De la petite enfance à l’adolescence, le cerveau change énormément: des nouvelles connexions entre les cellules du cerveau s’établissent, les connexions dont vous n’avez pas besoin sont supprimées et la communication des informations le long des voies neuronales importantes s’accélère. Il est essentiel de noter que lorsqu’une partie spécifique du cerveau est en reconstruction, les neurones de cette région présentent une activité rythmique plus lente pendant le sommeil lent. En Suisse, par exemple, des scientifiques ont enregistré le sommeil de 40 enfants et jeunes adultes, et mesuré leurs performances pour certaines tâches [2]. Il ont noté que les ondes lentes du sommeil étaient plus puissantes dans la région du cerveau responsable des compétences que les participants apprenaient, puis qu’elles diminuaient dans cette région une fois la compétence acquise. Par exemple, à la fin de l’enfance, lorsque les enfants deviennent très forts pour exécuter des mouvements complexes, comme faire du vélo – avec même les mains libres -, les ondes lentes sont plus puissantes dans la région du cerveau responsable de l’exécution des mouvements. Lorsque les participants ont passé une IRM, les scientifiques ont vu également que la couche externe du cerveau dans la même région était plus mince. Ces modifications correspondent aux réglages de plus en plus précis que fait le cerveau pour effectuer des tâches plus efficacement.  Ces relations entre les ondes lentes, les compétences et la structure du cerveau font penser aux chercheurs que l’observation des rythmes lents pendant le sommeil pourrait aider à comprendre comment le cerveau se développe.

Contrairement aux ondes lentes, qui diminuent avec la maturation du cerveau, les fuseaux du sommeil qui caractérisent le sommeil léger non-REM deviennent plus nombreux et plus rapides tout au long de l’enfance et de l’adolescence. Certains scientifiques pensent que cette accélération reflète une communication plus rapide et plus efficace entre les différentes parties du cerveau. Dans l’une des études d’Emma James, Ann-Kathrin Joechner et Beate E.Muehlroth, elles ont constaté que les enfants qui avaient connu la plus forte augmentation du nombre de fuseaux de sommeil sur une période de sept ans avaient obtenu de meilleurs résultats aux tests de quotient intellectuel à l’âge de 14-18 ans [3]. Malheureusement, nous ne savons pas encore exactement à quoi correspondent ces fuseaux et comment ils contribuent au développement du cerveau.

De nombreuses études ont montré que le sommeil peut aider à vous souvenir des nouvelles choses que vous apprenez. Certaines études ont même montré que les souvenirs peuvent s’améliorer avec le sommeil, sans qu’il soit nécessaire d’étudier davantage ! Par exemple, des chercheurs de l’Université de York ont enseigné à des enfants de 7 à 12 ans de nouveaux mots le matin ou le soir [4]. Lorsque les chercheurs ont testé ce qu’ils avaient retenu 12 heures plus tard, ceux qui avaient appris le soir puis s’étaient endormis pouvaient se souvenir de plus de mots que les enfants qui restaient éveillés toute la journée. Ils se souvenaient même de plus de mots qu’avant d’aller se coucher. Comment est-ce possible ?

Les scientifiques pensent que le cerveau possède deux systèmes d’apprentissage différents, un rapide et un lent. On peut comparer ces deux systèmes d’apprentissage au lièvre et à la tortue de la fable. Le lièvre s’élance très rapidement dans sa course contre la tortue. Heureux de ses progrès et sûr de gagner, il fait une sieste à mi-chemin, ce qui permet à la tortue lente et régulière de le dépasser et de gagner la course. Un premier système d’apprentissage dans le cerveau est rapide comme le lièvre: il vous aide à apprendre de nouvelles informations très rapidement pendant la journée et donne à l’information une longueur d’avance en mémoire. Le second système d’apprentissage est beaucoup plus lent et plus sage, comme la tortue, et relie soigneusement les nouvelles informations à ce que nous connaissons déjà. Ce système d’apprentissage lent est gagnant sur le long terme, car il garde les nouvelles informations pour le futur. Tout comme dans la fable, le système de mémoire de la “tortue” prend le relais pendant le sommeil, quand vous dormez.

Quand vous apprenez, c’est d’abord l’hippocampe qui entre en jeu. C’est lui le lièvre (voir figure 3 et cet article). Pendant le sommeil lent, l’hippocampe répète les informations qu’il a apprises pendant la journée et les communique au néocortex qui apprend lentement. De nombreux scientifiques pensent que le cerveau produit une séquence très spécifique d’ondes lentes, de fuseaux de sommeil et d’ondes très rapides dans l’hippocampe, pour permettre à ces deux systèmes d’apprentissage de communiquer. Cette communication renforce les souvenirs fragiles de la journéeet les relie aux connaissances plus anciennes déjà stockées dans le néocortex [5]. Des scientifiques en Belgique ont montré que ce processus de renforcement de la mémoire peut se produire même pendant une sieste [6]. Ils ont enseigné aux enfants de 8 à 12 ans certaines significations “magiques” pour des objets fabriqués (par exemple, un objet peut voir à travers les portes, un autre peut arrêter la pluie), puis ont testé leur mémoire pour ces associations tout en mesurant l’activité cérébrale. Immédiatement après l’apprentissage, l’hippocampe réagissait aux significations apprises (les associations dont on parle dans cet article). La moitié des enfants ont ensuite fait une sieste de 90 minutes, tandis que l’autre moitié est restée éveillée. Lors d’un deuxième test de mémoire, seuls les enfants qui avaient dormi avaient une plus grande activité cérébrale corticale quant ils se souvenaient des significations des objets. Ainsi, même une courte sieste permet le renforcement de la mémoire et de faire gagner la tortue.

Figure 3 – Comment le sommeil lent aide au stockage en mémoire.
L’hippocampe (en marron), une petite structure située au fond du cerveau, est le système d’apprentissage qui permet d’acquérir rapidement de nouvelles connaissances. Pour s’assurer que ces nouveaux souvenirs sont stockés à long terme dans le cerveau, l’hippocampe les communique au néocortex (en vert) d’apprentissage lent, pendant le sommeil. En émettant une séquence d’ondes lentes (ligne verte), de fuseaux de sommeil (ligne rose) et d’ondes rapides (ligne marron), les deux régions se parlent, permettant aux nouvelles informations d’être reliées aux connaissances plus anciennes déjà présentes.


ALORS, DORMEZ BIEN ET RÉVEILLEZ-VOUS EN PLEINE FORME !

Vous savez maintenant que dormir n’est pas une perte de temps. Au contraire, le sommeil permet à vos souvenirs de se consolider et de rester pour être utilisés dans le futur. Le sommeil est essentiel pour permettre à votre cerveau de se réorganiser au fur et à mesure que vous grandissez et que vous découvrez le monde. C’est grâce au sommeil que vous vous souvenez de toutes les nouvelles choses que vous apprenez. À long terme, les enfants qui dorment davantage ont de meilleurs résultats scolaires et réussissent même mieux aux examens que les enfants qui restent éveillés tard pour réviser [7]. Gardez une place importante pour le sommeil et laissez votre cerveau faire le travail difficile pendant que vous vous détendez la nuit.


Glossaire

Neurones : Petites cellules nerveuses du cerveau qui stockent et transfèrent des signaux et des informations.

Sommeil à mouvements oculaires rapides (REM) : Stade du sommeil au cours duquel les yeux bougent rapidement et les muscles sont extrêmement détendus, souvent associé à des rêves très intenses.

Fuseaux du sommeil : Brèves périodes d’activité accrue dans le cerveau qui permettraient une communication efficace entre les différentes parties du cerveau.

Sommeil à ondes lentes : Phase la plus profonde du sommeil non-REM, durant laquelle les neurones du cerveau présentent une activité rythmique lente (ondes lentes), que l’on pense importante pour le stockage durable des souvenirs.

Néocortex : Les couches externes du cerveau qui sont censées stocker les connaissances à long terme.

Hippocampe : Une structure cérébrale située au plus profond du cerveau qui permet un apprentissage rapide de nouvelles informations.


Références

[1]  Roffwarg, H. P., Muzio J. N., and Dement W. C. 1966. Ontogenetic development of the human sleep-dream cycle. Science 152:608.

[2]  Kurth, S., Ringli, M., LeBourgeois, M. K., Geiger, A., Buchmann, A., Jenni, O. G., et al. 2012. Mapping the electrophysiological marker of sleep depth reveals skill maturation in children and adolescents. Neuroimage 63:959–65. doi: 10.1016/j.neuroimage.2012.03.053

[3]  Hahn, M., Joechner, A.-K., Roell, J., Schabus, M., Heib, D. P., Gruber, G., et al. 2019. Developmental changes of sleep spindles and their impact on sleep-dependent memory consolidation and general cognitive abilities: a longitudinal approach. Dev. Sci. 22:e12706. doi: 10.1111/desc.12706

[4]  Henderson, L. M., Weighall, A. R., Brown, H., and Gaskell, M. G. 2012. Consolidation of vocabulary is associated with sleep in children. Dev. Sci. 15:674–87. doi: 10.1111/j.1467-7687.2012.01172.x

[5]  Wilhelm, I., Prehn-Kristensen, A., and Born, J. 2012. Sleep-dependent memory consolidation–what can be learnt from children? Neurosci. Biobehav. Rev. 36:1718–28. doi: 10.1016/j.neubiorev.2012.03.002

[6]  Urbain, C., De Tiège, X., De Beeck, M. O., Bourguignon, M., Wens, V., Verheulpen, D., et al. 2016. Sleep in children triggers rapid reorganization of memory-related brain processes. Neuroimage 134:213–22. doi: 10.1016/j.neuroimage.2016.03.055

[7]  Gillen-O’Neel, C., Huynh, V. W., and Fuligni, A. J. 2013. To study or to sleep? The academic costs of extra studying at the expense of sleep. Child Dev. 84:133–42. doi: 10.1111/j.1467-8624.2012.01834.x

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