D’où viennent les troubles spécifiques de l’apprentissage de la lecture. Dans la mesure où l’on peut écarter des causes telles qu’un déficit intellectuel, un déficit sensoriel (penser à la surdité mal dépistée!), un désavantage social, ou une carence pédagogique, l’hypothèse par défaut pour expliquer la dyslexie est l’existence d’un déficit cognitif relativement spécifique.
La conscience phonologique
Selon l’hypothèse dominante aujourd’hui (la théorie dite phonologique), le principal problème des enfants dyslexiques se situe dans un déficit de leur conscience phonologique.
La conscience phonologique est la capacité à réaliser que le langage parlé se décompose en sous-unités, les phonèmes, qui se combinent entre eux pour former des mots. Elle émerge vers 5 ou 6 ans et est une condition nécessaire à l’apprentissage de la lecture. Elle est par exemple utilisée dans la résolution des tâches suivantes :
- à l’oral, détection d’intrus sur des rimes ou des allitérations (ex : route, goutte et barre) ;
- contrepèteries (pour des enfants plus âgés) : par exemple, échanger les sons initiaux de deux mots (citron/bateau → bitron/sateau) ;
- dénomination rapide d’images.
La performance des enfants dyslexiques est plus faible dans ces tâches non seulement par rapport aux autres enfants de leur âge, mais aussi par rapport aux enfants de leur niveau de lecture (donc plus jeunes qu’eux) : on suppose donc que le déficit de la conscience phonologique préexiste à l’apprentissage de la lecture chez les enfants qui vont devenir dyslexiques. Certains chercheurs l’ont montré en suivant les enfants depuis la maternelle, voire depuis la naissance (Lyytinen 2004, Scarborough 1990).
Le cerveau dyslexique
L’IRM fonctionnelle* permet de visualiser la chaîne d’activité cérébrale au cours de la lecture : on peut donc découvrir le “pendant neural” de ce qui est observé au plan comportemental. Ainsi, trois principales zones de l’hémisphère gauche du cerveau humain sont impliquées dans la lecture et son acquisition (Démonet 2004) : la jonction occipito-temporale (en rouge), la jonction pariéto-temporale (en vert) et le gyrus frontal inférieur (en bleu).
Chez les dyslexiques, l’activité cérébrale est insuffisante dans plusieurs régions. L’une d’entre elles est la “boite aux lettres” du cerveau, située dans le cortex occipito-temporal de l’hémisphère gauche: à âge égal, celle-ci ne se développe pas normalement — c’est sans doute une conséquence du fait que les enfants n’apprennent pas à lire.
D’autres aires, situées à la jonction pariéto-temporale et dans le gyrus frontal inférieur, sont également sous -activées, particulièrement lorsque l’enfant ou l’adulte effectue des jugement de rime. Leur activation insuffisante pourrait refléter une anomalie primaire du traitement des sons du langage parlé.
L’étude de la structure même du cerveau peut permettre d’expliquer une partie de ces différences de fonctionnement :
- Grâce à l’IRM anatomique, on observe dans le cerveau dyslexique une réduction du volume du cortex dans deux des régions liées à la lecture : l’aire frontale inférieure et l’aire pariéto-temporale (verte), mais pas dans la zone occipito-temporale (rouge) (Eckert 2004). Cette dernière région étant impliquée dans le traitement orthographique, on peut supposer que sa faible activation n’a pas de cause structurelle et reflète simplement le manque d’entraînement des représentations orthographiques de l’enfant dyslexique, alors que les deux autres régions sont plus spécifiquement liées au déficit phonologique.
- L’imagerie anatomique a également permis d’observer les connexions reliant les aires du cerveau. Chez les dyslexiques, cette technique montre une connectivité plus faible sous les aires pariéto-temporales (en vert) : ces dernières sont probablement moins bien connectées entre elles et aux autres régions du cerveau, notamment le cortex préfrontal.
- Enfin, certains chercheurs ont pu disséquer des cerveaux de dyslexiques post-mortem. Ils ont observé des anomalies subtiles du cortex liées à des problèmes de migration neuronale pendant le développement fœtal. En effet, après 16-24 semaines de grossesse, les neurones doivent migrer vers le cortex, mais il peut arriver qu’un groupe de neurones manque sa cible dans une des couches du cortex et s’accumule au-delà (on parle alors d’ectopies). Chez les dyslexiques, ces ectopies sont situées majoritairement dans les aires du langage (dans l’hémisphère gauche), en particulier dans les aires frontales (bleues) et pariéto-temporales (vertes) impliquées dans la phonologie et la lecture. Elles pourraient être à l’origine des anomalies de matière grise et de connectivité et donc la cause directe de la dyslexie.
Des causes souvent génétiques
Quelle est l’influence des facteurs génétiques ?
Si un enfant est dyslexique, il existe de fortes chances pour que plusieurs membres de sa famille le soient également. Bien sûr, cette agrégation familiale de la dyslexie ne prouve pas son origine génétique : l’environnement partagé par une famille peut notamment être en cause (on imagine que des parents qui ne lisent pas créent pour leur enfants un environnement moins favorable à l’apprentissage de la lecture). Cependant, des études de jumeaux ont permis d’établir que l’héritabilité* de la dyslexie est de l’ordre de 50-60 % : la dyslexie a donc bien une origine partiellement génétique.
Quels gènes sont impliqués ? Grâce à la génétique moléculaire, nous savons qu’une multiplicité de sites chromosomiques sont impliqués dans la dyslexie. Nous sommes donc dans une logique de maladie génétique complexe, où les différents facteurs génétiques interagissent entre eux et avec des facteurs environnementaux, et modulent ainsi la probabilité de développer le trouble. Six gènes ont été associés à la dyslexie, dont quatre sont impliqués dans la migration neuronale : ils pourraient donc contribuer à expliquer les anomalies du cortex (ectopies) observées dans le cerveau des dyslexiques.
Maladie génétique, donc irréversible ?
L’existence de facteurs génétiques sous-jacents à la dyslexie ne doit pas empêcher de chercher des méthodes de remédiation. Le cerveau de l’enfant est particulièrement plastique, et peut très bien trouver des circuits de compensation pour apprendre à lire.
Dans la mesure où l’on ne peut pas intervenir sur les facteurs génétiques, c’est d’autant plus sur les facteurs non-génétiques, notamment la prévention précoce et la rééducation, que l’on peut compter pour améliorer le développement de l’enfant.
Même si un enfant éprouve de grandes difficultés à apprendre à lire, c’est avant tout à l’école et à l’enseignant de faire preuve d’encore plus de pédagogie et de patience que d’habitude, afin de parvenir à inculquer le décodage des mots écrits.